L’extradition des Baltes (réédition) : De Per Olov Enquist12/01/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/01/une-1696.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

L’extradition des Baltes (réédition) : De Per Olov Enquist

Paru il y a quinze ans, ce livre du Suédois Per Olov Enquist vient d'être réédité en collection de poche. Il relate un épisode de la fin de la Seconde Guerre mondiale, peu connu mais qui montra le gouvernement suédois sous un jour peu glorieux.

Au début de mai 1945, des soldats de l'armée allemande parvinrent à s'enfuir de la région de Courlande, en Lettonie, avant qu'elle ne tombe aux mains de l'armée soviétique, et gagnèrent la Suède proche sur des rafiots de fortune. Parmi eux se trouvaient 167 Baltes, Lettons, Estoniens ou Lituaniens.

Les Lettons, le groupe le plus nombreux, appartenaient à la 15e division SS. Certains, les officiers essentiellement, avaient choisi de collaborer avec les nazis ; ils avaient déjà exécuté les sales tâches de répression dans la police locale sous direction de l'occupant. Mais la plupart des autres n'avaient eu de choix qu'entre l'uniforme ou le camp de travail, si ce n'est l'exécution en tant que déserteurs. Plusieurs aussi étaient passés de l'armée russe à l'armée allemande au gré de l'occupation des pays baltes.

A leur arrivée en Suède, on les regroupa dans des camps avec des soldats allemands, en attendant de statuer sur leur sort.

Or, l'URSS, au terme d'accords entre les Alliés, réclama à la Suède l'extradition de tous les prisonniers de guerre pour, disait-elle, aider à la reconstruction du pays. Cela mit dans l'embarras le gouvernement suédois, un gouvernement de coalition, en place depuis 1939, ayant à sa tête le social-démocrate Per Albin Hanssen.

La Suède n'avait pas pris part au conflit mondial et, officiellement, était restée «neutre». Mais cette neutralité de façade cachait des sympathies pour l'Etat allemand, le puissant voisin avec lequel elle ne voulait pas entrer en conflit. Ainsi, dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir, le gouvernement suédois avait systématiquement refoulé les Juifs ou les opposants allemands demandant le droit d'asile. L'armée suédoise aussi était gangrenée par le fascisme : des soldats et officiers chargés de garder les camps après la guerre sympathisèrent avec les prisonniers nazis dont ils se sentaient proches.

Mais après la défaite de l'Allemagne, le gouvernement suédois chercha à faire oublier son attitude durant la guerre devant les nouveaux vainqueurs. C'est dans ce contexte que se fit l'extradition vers l'URSS de tous les prisonniers dont parle ce récit.

Les Baltes refusèrent d'être extradés et, par une grève de la faim, arrivèrent à mobiliser une partie de l'opinion publique en leur faveur, d'autant plus facilement que la plupart d'entre eux étaient effectivement des victimes d'enjeux territoriaux. Cependant, ceux qui furent à l'origine de la campagne en leur faveur figuraient parmi les plus réactionnaires du pays : églises, journaux de l'opposition, et plus généralement les anticommunistes qui continuaient de voir en l'URSS l'ennemi principal.

Le gouvernement suédois aurait pu céder et leur accorder le statut de réfugiés : cela ne concernait que quelques dizaines d'hommes, et il était facile de faire une distinction entre les nazis et les autres prisonniers. Mais, pour des raisons diplomatiques, le gouvernement suédois finit quand même par les extrader vers l'URSS où - comme il ne pouvait pas l'ignorer - ces hommes allaient être expédiés en camps, puis déportés, sinon aussitôt fusillés.

Enquist a mené son enquête trente ans après ces faits, au travers surtout de témoignages de Baltes ou de Suédois ayant été partie prenante de ces événements. Il nous fait revivre cette époque de l'après-guerre où le sort des peuples, ballotés entre les Etats, ne comptait pas face aux calculs politiques. Son livre est un réquisitoire sans complaisance vis-à-vis des gouvernements suédois qui se sont succédé et de toute l'hypocrisie et du mépris des peuples qui se cachaient derrière leur étiquette «socialiste».

Marianne LAMIRAL

(L'extradition des Baltes, de Per Olov Enquist, éditions Babel, 517 pages, 73 francs)

Partager