Russie : Un nouveau code du travail ?22/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1693.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Un nouveau code du travail ?

Cela fait des années que les gouvernements russes successifs tentent de faire passer un nouveau code du travail (KZOT, en russe) pour remplacer celui de 1971, officiellement en vigueur avec des modifications, même s'il n'est guère appliqué.

Poutine avait fixé au 21 décembre la date à laquelle la Chambre des députés (la Douma) aurait dû adopter le nouveau KZOT. Mais tout porte à croire que les autorités vont ajourner à nouveau leur projet faute d'une majorité le soutenant à la Douma. Faute aussi d'avoir convaincu une fraction notable des syndicats de le défendre auprès de la classe ouvrière. Ceux d'entre eux qui ont appelé à s'opposer à ce projet ont réussi, localement au moins, à mobiliser plus largement que d'habitude, comme on l'a vu lors des manifestations de ce mois de décembre.

Pour la Fédération des Syndicats Indépendants de Russie (qui, malgré son nom, ne brille pas par son indépendance à l'égard des autorités), un point surtout du projet est inacceptable : celui qui réduit la place reconnue par la loi aux syndicats. Le code du travail actuel leur donne en effet le droit de s'opposer à trois des huit cas de licenciements légaux : en cas d'inaptitude à un emploi, d'arrêt pour longue maladie et même de licenciements collectifs. Peu appliqué dans les faits, ce droit disparaît du projet gouvernemental. Du coup, certains syndicats, principalement issus des appareils de l'époque soviétique qui ne survivent qu'en apparaissant aux travailleurs comme un petit rempart légal, ont quelques raisons de craindre de perdre leur raison d'être. Et ils se sont démenés, moins pour mobiliser les travailleurs que pour trouver des relais parlementaires soutenant un projet concurrent - sur ce point - de celui du gouvernement, mais peu différent sur le fond car il entérine le recul du droit du travail sur bien des points.

Les autorités, la presse et certains syndicats expliquent que le KZOT actuel n'est plus appliqué. «Conçu pour une économie planifiée», disent les Izvestia, il n'est «pas adapté à une économie de marché». C'est un fait que les directions des entreprises s'assoient sur la loi, et pas seulement quand elle semble un peu protéger les travailleurs. L'Inspection du travail de Russie recense deux millions d'infractions au code du travail cette année. Un député les a chiffrées... à 300 millions et il estime que, la moitié des travailleurs étant employés hors de tout cadre légal, ils ne peuvent porter plainte.

Dans ce pays où l'économie s'effondre, où le chômage de masse est brutalement apparu il y a peu, où les salaires - souvent inférieurs au minimum vital officiel - sont versés avec retard, la seule loi qui prévale est celle de la jungle. Face à cela, la classe ouvrière, nombreuse mais frappée de plein fouet par la crise sociale née de la disparition de l'URSS et absorbée par le souci quotidien de survivre, n'a pas encore trouvé les moyens de rendre les coups et de s'organiser pour cela. D'autant moins qu'aucun parti politique, y compris le parti dit communiste, ne fait même semblant de s'adresser à la classe ouvrière en tant que telle.

Forts de cela, les dirigeants de l'Etat russe, encouragés en outre par les institutions étatiques et financières du monde impérialiste, cherchent à réduire encore les droits de la classe ouvrière. Troudovoe pravo («Le droit du travail»), journal du syndicat des dockers de Saint-Pétersbourg, relève que le nouveau KZOT considère comme motif de licenciement «l'absence du lieu de travail durant plus de trois heures», ce qui inclut «la participation à un rassemblement de protestation». En outre, en cas de «conflit du travail de plus de deux mois, une direction peut demander aux autorités locales de désigner une instance d'arbitrage dont les décisions auront force de loi».

Ce journal cite aussi la possibilité (actuellement interdite aux employeurs) de recourir systématiquement aux contrats provisoires et de les renouveler indéfiniment sans procéder à des embauches. A cela s'ajoutent d'autres reculs. La journée légale de travail (de huit heures depuis le premier KZOT de novembre 1918) pourrait être portée à douze heures, la semaine de travail à 56 heures. «Avec l'accord de l'employé», dit le gouvernement. Mais il sait bien que cela se pratique déjà largement (comme le travail 24h/24, y compris dans les services et le commerce, ou l'absence de repos hebdomadaire, de pauses, etc.), les sans-travail n'ayant pas le choix de refuser. Les congés post-maternité, jusqu'à trois ans avec droit au maintien dans son emploi, seraient réduits de moitié.

C'est dans les entreprises étatisées et para-publiques, particulièrement dans les grandes concentrations ouvrières, que ces droits sont encore plus ou moins respectés. C'est là que les résistances sont les plus fortes et que le nouveau KZOT a provoqué des grèves parfois bien suivies. Si cela a forcé les autorités à différer leur projet, c'est encore loin de pouvoir les obliger à respecter leurs propres lois.

Mais la classe ouvrière n'a pas le choix : en se battant pour que ne lui soient pas retirés les quelques droits hérités du passé soviétique, c'est son avenir et finalement l'avenir de toute la société qu'elle défend.

Partager