Traité de Nice : Vous avez dit «Union» Européenne ?15/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1692.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Traité de Nice : Vous avez dit «Union» Européenne ?

Le traité de Nice, qui était censé remplacer les traités de Maastricht et d'Amsterdam, a mis en évidence les divergences d'intérêts entre les différentes bourgeoisies européennes et le piétinement de la construction européenne.

L'objectif de ce sommet était de définir de nouvelles règles juridiques de fonctionnement des institutions de l'Union européenne en vue de son élargissement à vingt-sept ou vingt-huit membres. On sait que ces institutions sont au nombre de trois : le Conseil européen, qui réunit les chefs d'Etat, les gouvernements et ministres des différents pays de l'Union. Chaque pays y dispose d'un certain nombre de voix. Ce Conseil, à présidence tournante, était dirigé par la France depuis six mois. La deuxième institution est la Commission européenne ou Commission de Bruxelles. Elle est actuellement dirigée par Romano Prodi, et composée de «commissaires», nommés par chaque Etat. Enfin, le Parlement européen, dont les députés sont élus tous les cinq ans, qui n'a aucun pouvoir de décision et sert plutôt d'alibi démocratique aux décisions prises par les deux premières.

Dans toutes ces institutions, l'intégration mécanique de représentants de nouveaux pays, essentiellement des pays d'Europe centrale et du sud de l'Europe, aurait diminué le poids relatif des «grands», en fait des principaux impérialismes dominant l'Europe, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, l'Italie et l'Espagne. Il s'agissait donc tout d'abord de renforcer leur domination et de redéfinir le poids de chacun dans ces organismes.

C'est ainsi que ces cinq «grands» étaient partisans de limiter le nombre de commissaires européens à 20, voire à 15, ce qui aurait signifié que la plupart des «petits» Etats n'auraient pas disposé de commissaires, du moins permanents. Chirac, au nom de la présidence française, a tenté d'utiliser l'argument démographique pour les convaincre d'accepter une sous-représentation. Mais lui-même refusait d'augmenter la représentation de l'Allemagne, actuellement égale à la France, alors que depuis la réunification des deux Allemagnes, la population allemande est supérieure de vingt millions à la population française. Le sommet a échoué à réformer la Commission et a décidé à l'unanimité de renvoyer la question à plus tard...

Le même marchandage s'est produit concernant la réforme du Conseil des ministres européens. Mais là, un compromis a été laborieusement trouvé. Le nombre de voix dont disposeront les pays variera de trois (pour le Luxembourg) à vingt-neuf (pour la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie). Mais on instaure trois seuils à franchir pour qu'une décision soit prise : une majorité de voix, une majorité d'Etats, et encore le «filet démographique», c'est-à-dire qu'un vote pour être déclaré qualifié devra représenter 62 % de la population de l'Union européenne.

Tous ces marchandages sont significatifs des intérêts contradictoires des différentes bourgeoisies européennes. Car si, en théorie, les commissaires européens et les représentants au Conseil doivent faire abstraction de leurs liens nationaux pour faire prévaloir un intérêt commun, c'est bien du contraire qu'il s'agit : ces institutions sont le siège d'âpres négociations où chaque représentant défend les intérêts de sa bourgeoisie nationale. Avec un élargissement éventuel de l'Union européenne, les divergences seront encore plus aiguisées. Sur toutes ces questions d'intérêts, les bourgeoisies des différents pays veulent avoir des garanties que les décisions ne seront pas prises contre leur gré.

De la même façon, les négociations ont échoué à propos de l'instauration de la «majorité qualifiée». En effet, dans les instances européennes actuelles, pour qu'une décision soit prise, il faut l'unanimité, ce qui signifie qu'un seul pays peut bloquer une décision. Il s'agit évidemment d'un frein considérable. L'idée est donc de permettre, sur un certain nombre de sujets, le passage à une majorité simple. Tout le monde est d'accord... pour que les autres cèdent sur les sujets leur tenant à coeur. Tony Blair, qui avait annoncé venir «défendre l'intérêt de l'Angleterre» et définir les «lignes rouges», a maintenu son droit de veto sur la fiscalité et le droit social. La France, aussi, sur «l'exception culturelle», l'Allemagne sur l'immigration et le droit d'asile, etc.

En fait, tous les sujets de divergences ont été renvoyés à plus tard, au prochain sommet de 2004.

C'est qu'en fait, l'Union européenne et ses institutions, aujourd'hui encore, ne sont nullement une union, mais une arène où les différentes bourgeoisies rivales tentent péniblement de réglementer leur concurrence.

Pierre Moscovici, lors de ces négociations interminables, a avoué que les institutions européennes étaient comme un «château de cartes», capable de s'écrouler subitement. Comme finalement il fallait sauver la face, et en particulier celle du président de la puissance invitante, Chirac, on a abouti à un semblant d'accord. Mais on a simplement réussi à ajouter quelques cartes sur la pyramide.

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