Tortures en Algérie : Jospin ne veut pas d’histoire01/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1690.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Tortures en Algérie : Jospin ne veut pas d’histoire

La discussion qui s'est instaurée à la suite des interviews récentes parues dans le quotidien Le Monde des généraux Massu et Aussaresses, a de quoi laisser pantois. Laissons de côté ceux qui, à droite, récusent, comme ils l'ont toujours fait, ceux qui osent remettre en cause l'action de cette armée française qu'ils considèrent comme intouchable, voire même immaculée. Mais le PS et en particulier Jospin interviennent dans le même registre « pas touche ! » Et si on n'en est plus au « bouche cousue » qui a prévalu jusqu'alors, puisque Massu sur ses vieux jours - il a 92 ans - et son exécuteur des basses oeuvres l'ont ouverte, il faut que ce débat « passionnel » reste mesuré.

Pas question, déclare Jospin, d'en faire une affaire politique, c'est une affaire qui relève de l'Histoire et des historiens. Ce seront eux qui auront la charge de départir la responsabilité de chacun. Les déclarations de Massu et de son acolyte, qui ne font que confirmer ce qui se savait depuis toujours, ne suffiraient-elles pas pour prendre position contre une guerre injuste, sans doute pas seulement à cause des moyens qui y furent utilisés, mais aussi à cause d'eux ?

L'armée française, au su des dirigeants politiques, a torturé, a procédé à des exécutions sommaires. Même les officiers supérieurs, qui en furent les acteurs et les témoins, l'admettent aujourd'hui, et l'un d'eux, Aussaresses, déclare apparemment sans état d'âme qu'il a lui même abattu de sa main 24 suspects, pour éviter, bon père du régiment, à des subalternes de faire ce sale boulot. Que faut-il de plus pour prendre position ? Pour manifester son dégoût, pour appeler un chat un chat, un tortionnaire et un exécuteur une brute, fut elle française et galonnée ?

Mais, comme le disent en substance Massu et Aussaresses, qui parlent de ces choses-là sur le ton détaché de professionnels pour qui la repentance n'est pas de mise, ils n'ont été « que de bons ouvriers » : « adressez vous aux patrons », on ne fait pas la guerre, et encore moins les guerres coloniales, en gants blancs. Aussaresses l'affirme sans fard : « S'il fallait le refaire, cela m'emmerderait, mais je recommencerais ». On n'a aucun mal à le croire, et à comprendre sa logique. Elle n'est pas seulement la sienne, mais celle des « politiques » qui ont décidé cette guerre d'Algérie, comme ils avaient décidé la guerre d'Indochine, les massacres de Sétif et de Madagascar. On y retrouve à chaque fois ces prétendus hommes de gauche, qui n'ont manqué aucun de ces épisodes sanglants de l'histoire de « notre » impérialisme national. Ce sont eux qui ont accordé toute liberté à ceux qui étaient chargés de faire cette guerre, toute liberté pour la faire « au mieux ».

A moins de considérer que ces fleurons de la civilisation que sont les généraux Massu ou Aussaresses sont des menteurs, ce que seul un de leurs congénères, Bigeard ose faire (mais il est vrai qu'il nie encore qu'il y ait eu des tortures en Algérie ; il n'y aurait eu, selon lui, que la « gégène », qui ne doit être sans doute qu'un anodin jeu électrique), les faits sont une nouvelle fois publics, incontestables. Mais prendre position sur ces faits, c'est du même coup prendre position contre ceux qui les ont laissé faire, voire même commandés. C'est désavouer des hommes comme Mitterrand, une des pièces maîtresses des gouvernements qui ont donné le feu vert à Massu et à ses sbires. Ce même Mitterrand dont Jospin vient de se déclarer un des héritiers au tout récent congrès du PS à Grenoble. C'est dire que les tortionnaires étaient à Alger, tandis que les responsables trônaient à Paris dans les ministères.

Jospin laisse habilement - nous dirons lâchement - soin aux historiens d'en débattre et d'en juger. Il vient, suprême audace, d'accepter que les archives soient enfin ouvertes à ces historiens.

Comme si cette histoire était encore à faire! Dès les années soixante, des hommes, au péril de leur vie et de leur liberté, racontaient ; d'autres, malgré la censure de l'époque, faisaient circuler leurs écrits, que l'on essayait d'étouffer, à défaut de pouvoir les nier. Leurs auteurs n'étaient pas des historiens, pour la plupart, mais simplement des militants, des acteurs, et pour tout dire, des hommes courageux et dignes. Il y a maintenant quarante ans de cela. Il n'est pas nécessaire de visiter les archives, il suffit simplement de lire ou de relire ces témoignages, tels que ces quelques livres, parmi d'autres parus à l'époque, dont nous parlons ici...

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