Côte-d'Ivoire : Un massacre pour casser la révolte populaire10/11/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/11/une-1687.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Côte-d'Ivoire : Un massacre pour casser la révolte populaire

Apparemment, et au moins momentanément, le calme semble revenu en Côte d'Ivoire après le massacre qui aurait fait 171 morts d'après le gouvernement, peut-être bien plus, essentiellement parmi les Dioulas musulmans, une ethnie du nord du pays. On nous présente cette tuerie comme le résultat d'une explosion spontanée de violence entre ethnies et religions différentes, provoqué par des affrontements entre partisans de deux partis rivaux. Pourtant la Côte d'Ivoire n'a connu aucun affrontement ethnique depuis des décennies.

La réalité est autre : il s'agit d'un meurtre collectif organisé délibérément par le pouvoir afin de terroriser la population. Ce sont des nervis du parti du nouveau président Laurent Gbagbo, le Front Populaire Ivoirien, encadrés par les forces de gendarmerie, qui ont organisé de sang froid une nuit et une journée de terreur dans les quartiers populaires, pillant, volant, brûlant et tuant. Et les victimes ne sont pas seulement des manifestants du RDR, le parti rival, mais aussi des habitants qui ont été arrachés à leur maison et fusillés par la gendarmerie, en même temps que l'on brûlait des mosquées pour propager la haine entre les communautés.

Ce massacre est dans le droit fil de la politique du prétendu socialiste Gbagbo, qui lors de sa campagne présidentielle avait choisi comme axe de campagne " l'ivoirité ", en tentant délibéremment de dresser une partie des Ivoiriens contre une autre, en particulier ceux des ethnies du nord, accusés d'être des étrangers. Mais Gbagbo n'a fait sur ce plan que suivre ses prédécesseurs, Bédié et Gueï. C'est donc bien consciemment et de propos délibéré que les classes dirigeantes ont choisi de semer ainsi les germes de futures violences intercommunautaires.

Si la division des pauvres entre eux est aujourd'hui aussi nécessaire aux classes dirigeantes, c'est que la colère et la révolte menacent dans les quartiers populaires frappés par la misère, chez les ouvriers et les fonctionnaires victimes de la chute du franc CFA, des licenciements et des salaires réduits ou impayés, chez les paysans frappés par la chute du cours du café, du cacao ou du bois et même chez les petits soldats eux aussi misérables. La polarisation entre une classe riche, une des plus importantes d'Afrique noire, et une population travailleuse de plus en plus pauvre est devenue explosive.

Déjà au début des années 90, Houphouët Boigny avait dû faire face à de grandes manifestations que son premier ministre Alassane Ouattara avait réprimé en envoyant les forces armées de son chef d'Etat-major Gueï. Et c'est face à une situation qu'il maîtrisait de moins en moins que son successeur Bédié a lancé une campagne xénophobe sur " l'ivoirité ". Cependant, l'agitation politique et sociale n'a fait que grandir dans les derniers mois de l'année 99, culminant dans des journées de grèves et de manifestations où les transports bloqués entraînaient la paralysie de la capitale.

Même si les classes dirigeantes n'avaient rien à craindre du leader de la contestation, Ouattara lui-même, ancien dirigeant du FMI et ancien premier ministre, elles voyaient d'un très mauvais Ïil la montée de la combativité des quartiers pauvres. C'est avec le soutien de tous les clans de la bourgeoisie que l'ex-général Gueï a démis Bédié en décembre 99. Il a fait semblant de dénoncer la xénophobie de Bédié et prétendu être l'émanation de la révolte des petits soldats mutinés réclamant leur paie.

Gueï a eu un certain succès au début par sa démagogie populiste, promettant de payer les soldats, les fonctionnaires et les ouvriers, quitte à arrêter de servir les intérêts de la dette aux financiers mondiaux. Mais une fois au pouvoir, il a mis en jugement les soldats révoltés, fait tabasser des journalistes, interdit les rassemblements et manifestations dans les quartiers populaires, et finalement repris la propagande sur l'ivoirité. A tel point que malgré des élections truquées par la mise à l'écart de Ouattara et de la plupart des candidats, il les a perdues au profit de Gbagbo. Son refus de quitter le pouvoir a provoqué une véritable révolte populaire dans les grandes villes. Dans la capitale, le 24 octobre ce sont des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui ont pris d'assaut les édifices publics, bravant la fusillade, et renversé Gueï.

Gbagbo, arrivé en tête du scrutin truqué, a pu s'autoproclamer président. Pourtant la rue a repris ses manifestations, sous la direction cette fois des partisans de Ouattara. C'est dans ces circonstances que Gbagbo a commis son acte criminel. Par un bain de sang il s'agissait non seulement de ramener le calme dans la rue mais surtout de faire planer la menace de la guerre ethnique, dont tant d'autres pays d'Afrique sont victimes et ce dont certainement l'immense majorité de la population ivoirienne ne veut pas. Et tant pis, bien sûr, si ce bain de sang pourrait justement préparer cette guerre en semant et accroissant les haines entre les communautés. Pour Gbagbo l'essentiel est d'asseoir son pouvoir et faire reculer ses opposants dans l'immédiat, quitte à engendrer une catastrophe dans l'avenir.

En effet, après avoir déchaîné ses voyous et ses gendarmes, cela lui a permis de lancer un appel au calme, se présenter comme le défenseur de la paix entre les communautés, proposer la trêve à Ouattara, lequel a accepté tout en restant en dehors du nouveau gouvernement. Gbagbo et Ouattara se sont donné l'accolade devant les média, se traitant de frères pour appeler ensemble la population pauvre au calme. Et depuis, cette campagne a été reprise partout : média, églises, mouvements de jeunesse.

Avec la menace du bain de sang inter-ethnique et de la guerre de religion, les dirigeants ivoiriens, et derrière eux leurs maîtres impérialistes en particulier français, espèrent faire reculer la révolte sociale. Mais le fait qu'ils brandissent ainsi cette épée de Damoclès montrent qu'ils n'hésiteraient sans doute pas à déclencher l'apocalypse tant ils craignent la révolte populaire.

Celle-ci par deux fois en quelques mois a contribué à la chute du pouvoir en place. Et une population pauvre qui contribue à défaire les régimes pourrait bien en effet un jour prendre conscience que c'est à elle de prendre elle-même le pouvoir... et qu'elle en a la force !

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