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Dans le monde
Après le sommet du Caire : Les Palestiniens ne peuvent compter que sur leur lutte
Alors que les affrontements sanglants continuent dans les Territoires occupés et que chaque jour apporte son lot de morts, le plus souvent parmi la population palestinienne, le sommet de la Ligue Arabe qui s'est réuni au Caire les 21 et 22 octobre n'a pris, de l'avis général, que des décisions tout à fait modérées à l'égard d'Israël.
Bien sûr, comme d'habitude, les dirigeants des Etats arabes ont condamné Israël. Ils ont salué le soulèvement du peuple palestinien et ils ont assuré celui-ci de leur solidarité. Ils ont réclamé du Conseil de Sécurité de l'ONU qu'il crée un tribunal pénal international pour juger " les criminels de guerre israéliens ", ainsi qu'une force internationale pour fournir la protection du peuple palestinien. Mais concrètement, ils se sont bornés à recommander au monde arabe de cesser d'établir des relations avec Israël, et ont décidé de créer deux fonds d'aide aux Palestiniens, pour un montant total d'un milliard de dollars. C'est là le moins que les dirigeants arabes pouvaient faire, au moment où la situation dans les Territoires occupés suscite dans tous leurs Etats des manifestations de solidarité avec les Palestiniens.
Solidarité de façade
De ce point de vue, les dirigeants arabes, de Moubarak en Egypte aux rois d'Arabie ou de Jordanie ou à des leaders réputés plus radicaux comme les dirigeants irakiens, syriens ou libyens, n'ont jamais été avares de mots. Proclamer l'indéfectible solidarité arabe, rivaliser de surenchères nationalistes pour s'affirmer le meilleur défenseur des " frères palestiniens opprimés par Israël ", c'est depuis plus de cinquante ans un procédé utilisé par les dirigeants arabes, y compris les plus inféodés à l'impérialisme occidental, car c'est un moyen facile pour se dédouaner aux yeux de leur propre opinion publique.
Quant à faire quoi que ce soit de concret pour étayer cette solidarité avec les Palestiniens, ils sont bien plus circonspects. Des Etats comme l'Arabie saoudite, qui disposent d'importants moyens, peuvent se montrer relativement généreux pour aider financièrement des organisations palestiniennes, mais cette générosité a pour contrepartie d'avantager celles qui s'avèrent les moins gênantes, et les plus accommodantes avec les intérêts des Etats arabes.
En réalité les dirigeants arabes ne sont nullement solidaires : ils craignent la révolte du peuple palestinien. Dans ces Etats qui sont tous des dictatures plus ou moins féroces, l'existence d'organisations palestiniennes indépendantes et organisant la population pour la lutte, est ressentie par les gouvernements comme un danger direct. La lutte, la combativité, l'esprit de sacrifice des Palestiniens peuvent être contagieux, devenir un exemple pour les opprimés de leurs propres pays.
En Egypte, en Syrie, en Irak, sans parler de l'Arabie saoudite ou des Emirats, les gouvernements ont toujours placé les organisations palestiniennes sous étroite surveillance, ne tolérant en fait que celles qui leur étaient inféodées. Et là où les réfugiés palestiniens étaient les plus nombreux, en Jordanie et au Liban, et où l'existence d'une base de masse pour les organisations palestiniennes leur donnait la possibilité d'avoir une liberté d'action, cela a fini par un massacre. Lors du " Septembre noir " de 1970, l'armée du roi Hussein de Jordanie écrasa les milices palestiniennes. Plus tard, en 1975, ce furent les milices de l'extrême droite libanaise qui déclenchèrent contre elles, et en même temps contre la gauche libanaise, une guerre sanglante.
Les dirigeants palestiniens face à leur peuple
Quant aux dirigeants palestiniens, ceux qui ont finalement pris le dessus ont été aussi ceux qui se sont montrés les plus respectueux des intérêts des dirigeants et des bourgeoisies arabes. Arafat n'a conservé une certaine autonomie que parce qu'il a su jouer sur les antagonismes entre les différents Etats, trouvant par exemple le soutien des dirigeants égyptiens quand les Syriens le combattaient. En cela il n'a été que le dirigeant conséquent d'une bourgeoisie palestinienne dont le seul objectif était d'avoir une place au soleil - et si possible les prérogatives d'un pouvoir d'Etat - bien difficile à conquérir entre Israël d'une part, le chassé-croisé des intérêts et des conflits des différents Etats arabes d'autre part.
Mais surtout, Arafat a su au cours des années désamorcer toutes les possibilités révolutionnaires de la lutte des Palestiniens, lorsque celle-ci éveillait un écho auprès des masses arabes, au cours de la guerre civile libanaise notamment. Il a démontré ainsi aux dirigeants arabes, mais aussi à Israël et à l'impérialisme, qu'il pouvait devenir un facteur de stabilité dans la région si on lui confiait un pouvoir d'Etat. C'est à cette condition seulement qu'Israël a pu envisager la création d'une Autorité palestinienne dans les secteurs où l'armée israélienne ne réussissait plus à faire face à " l'Intifada " de 1987-1993.
La situation d'aujourd'hui montre que les concessions d'Arafat, si elles ont donné un mince pouvoir à une couche tout aussi mince de notables palestiniens, n'ont rien apporté au peuple palestinien lui-même, et celui-ci s'engage dans une nouvelle Intifada. Et en effet l'expérience lui a montré que les seules concessions qu'aient jamais accepté Israël ont été dues à la lutte des Palestiniens, et non au ballet diplomatique d'Arafat entre les Etats-Unis, l'Europe et les capitales arabes.
Cette conscience qu'il n'y a d'autre issue que la lutte, aussi dure soit-elle, semble bien présente aujourd'hui au sein du peuple palestinien et en premier lieu de sa jeunesse, et sans doute avec elle la conscience qu'il n'y a rien à attendre ni des grandes puissances et de l'ONU, ni des dirigeants arabes et de leur pseudo-solidarité. Ce discrédit atteint aussi Arafat et ses proches qui, une fois à la tête de l'Autorité palestinienne, ont aussitôt fait preuve de corruption et de despotisme.
Mais il resterait aussi à mener une politique qui soit à la hauteur de cette combativité, de cette révolte, une politique sachant trouver la voie pour éveiller la solidarité, le soutien, la lutte de tous les autres opprimés de la région, dans les autres Etats arabes et jusqu'au sein même d'Israël.
Les organisations intégristes ne sont pas une alternative
Malheureusement aujourd'hui, ce sont semble-t-il les organisations intégristes islamiques qui bénéficient le plus du discrédit d'Arafat au sein de la population palestinienne. Et si ces organisations, telles le Hamas, apparaissent bien plus décidées et bien plus radicales dans la situation actuelle, leur politique ne peut représenter une issue. Il suffit de regarder l'Iran pour avoir une idée de ce que serait une Autorité, voire un Etat palestinien au sein duquel le Hamas aurait supplanté Arafat et le Fatah. Un pouvoir politique intégriste ne serait sans doute pas moins corrompu, il ne ferait pas moins qu'Arafat reposer sur la population palestinienne le poids de la misère, il ne serait pas plus capable d'imposer des concessions à Israël et à l'impérialisme. Et loin d'aider le peuple palestinien à trouver une voie pour toucher les exploités d'Israël lui-même, il contribuerait à enfermer Palestiniens et Israéliens dans l'impasse, où à un pouvoir intégriste musulman palestinien s'opposerait peut-être un pouvoir intégriste juif en Israël ; pour le plus grand malheur des deux peuples.
Plus que jamais, ce dont ont besoin les masses palestiniennes qui aujourd'hui se battent, mais aussi les masses des autres Etats arabes soumises à des dictatures, mais aussi la population travailleuse d'Israël à qui ses dirigeants ne proposent rien d'autre que de mener éternellement une guerre sans issue, c'est d'une politique révolutionnaire prolétarienne et internationaliste, la seule qui puisse unir un jour tous les exploités de la région contre les différentes bourgeoisies, israélienne et arabes, et contre l'impérialisme qui se sert de tous leurs conflits pour dominer la région.