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Maroc - Tazmamart : Impunité pour les tortionnaires
Le 7 octobre, le Forum Vérité et Justice, organisation de défense des victimes de la répression de l'ex-roi du Maroc Hassan II, a organisé un " pélerinage " sur le site du bagne de Tazmamart où on ne saura jamais précisément combien de personnes sont mortes dans des conditions effroyables, et dont l'existence avait toujours été niée par le régime jusqu'à la libération des survivants en 1991.
Les gouvernements français successifs, parfaitement au courant des exactions d'Hassan II (c'est lui qui, en 1965, avait fait enlever et assassiner en plein Paris l'opposant Ben Barka avec l'aide de barbouzes françaises), ont eux aussi scrupuleusement respecté ce silence de plomb pour complaire à " leur ami le roi ".
En 1991, les autorités marocaines ont affirmé que le mouroir de Tazmamart avait été " rasé ", ce que le Forum a toujours démenti. Pour les anciennes victimes et leurs défenseurs, ce lieu est devenu un symbole des ignominies perpétrées par le régime d'Hassan II qui, durant les 38 ans de son règne, a contenu la révolte de la population par une terreur ininterrompue. Des milliers de militants, d'opposants, d'étudiants ou de syndicalistes ont été torturés et sont morts à Kenitra, Dar el Mokri, Moulay Cherif et en bien d'autres endroits moins connus.
Les quelques lettres qui ont pu sortir du bagne et que cite Gilles Perrault dans son livre Notre ami le roi restituent l'horreur : " Les trois quarts des prisonniers marchent à quatre pattes entre les murs de leur cellule (...), un peu plus que les rats, un peu moins que les hommes ".
Tazmamart servit à faire disparaître des syndicalistes, des militants politiques, des indésirables dont plus aucune nouvelle ne filtrait, comme ce fut aussi le cas de centaines voire de milliers de Sahraouis dans bien d'autres camps de la mort.
La commémoration du 7 octobre a été autorisée par Mohammed VI, le fils d'Hassan II qui lui a succédé en 1999. Celui-ci tente, au travers d'opérations très médiatisées, de se donner l'image d'un monarque en rupture avec le règne précédent, " moderne ", " éclairé ", soucieux des droits de l'homme. Ainsi avait-il déjà autorisé le retour au Maroc d'Abraham Serfati, un des opposants les plus célèbres qui, après avoir croupi pendant des années dans ce bagne, s'est vu accorder un poste officiel de conseiller du gouvernement en matière de prospection pétrolière. Puis ce fut le tour de la famille de l'ancien homme fort du régime, le général Oufkir, abattu en 1972, de recevoir le droit de rentrer au pays.
Pour rendre le régime plus présentable, Mohammed VI a créé une commission d'indemnisation des victimes. Mais il n'est pas question de mettre en accusation les exécutants des basses oeuvres du régime. L'ancien ministre de l'Intérieur d'Hassan II, Driss Basri, révoqué par Mohammed VI en novembre 1999, a réintégré quelques mois plus tard la fonction publique en tant que professeur de droit à l'université. Et l'ancien chef régional de la gendarmerie, le commandant Hamid Laânigri, qui avait supervisé le transfert de cinquante-huit militaires condamnés pour tentative de coup d'Etat vers le mouroir de Tazmamart, a été nommé par Mohammed VI, il y a un an, à la tête de la direction de la Séreté du territoire (DST), la police politique.
Quant aux hauts cadres de l'armée, leur soumission au régime continue de leur valoir en contrepartie une complète impunité pour la corruption qui règne dans leurs rangs. Un jeune capitaine de l'armée de l'air vient de payer pour le savoir. Cet officier avait dénoncé dans les colonnes du journal français Le Monde en décembre 1999 la corruption répandue dans son unité. Cela lui a valu une peine de cinq ans -le maximum prévu- avant d'être dégradé et radié de l'armée par le roi Mohammed VI. Chose inhabituelle, la condamnation a été cassée par un arrêt de la Cour suprême, et il a été finalement condamné à deux ans et demi de prison.
Pour tenter de modifier à peu de frais l'image de marque d'un régime voué à maintenir coûte que coûte un ordre social profondément injuste, le successeur d'Hassan II n'a à proposer que des gestes symboliques.