L'OPEP, bouc émissaire de la politique des compagnies20/10/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/10/une-1684.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

L'OPEP, bouc émissaire de la politique des compagnies

C'est il y a quarante ans, en septembre 1960, qu'était créée l'OPEP, l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole. Il s'agissait d'une tentative des pays producteurs de desserrer le monopole qu'exerçaient les grands trusts du pétrole sur leurs ressources naturelles.

Les pays fondateurs en furent le Venezuela, l'Iran, l'Irak, le Koweït et l'Arabie Saoudite. Plus tard ils furent rejoints par le Qatar, la Libye, l'Indonésie, l'Algérie, le Nigéria, les Emirats Arabes Unis, l'Equateur et le Gabon, bien que ces deux derniers pays en soient sortis depuis.

Ces treize pays étaient loin d'être les seuls producteurs de pétrole : les Etats-Unis furent jusqu'en 1975 le premier producteur mondial, suivis par l'URSS. Aujourd'hui encore, les membres de l'OPEP produisent à tous moins de 40% du pétrole mondial et un peu plus de 50% du pétrole exporté.

Mais le pétrole constitue pour ces pays la principale sinon l'unique richesse et ils sont tous dépendants de son exportation. Si l'on met à part le cas particulier des micro-Etats du Golfe (Qatar, Koweït, Emirats Arabes Unis) - ces "pétro-émirats", créés de toutes pièces par l'impérialisme britannique dans les années 1960 pour protéger les champs pétroliers des trusts occidentaux - tous ces pays ont en commun d'être des pays pauvres, pillés par l'impérialisme. C'était vrai avant la naissance de l'OPEP et ça l'est resté depuis.

L'explosion du marché pétrolier

C'est essentiellement à partir de la Première Guerre mondiale que la production du pétrole se développa. Dans les pays pauvres, les compagnies pétrolières occidentales s'étaient approprié le monopole de l'exploration et elles gardèrent celui de la production. Sept "majors", dont cinq américaines, une anglaise et une anglo-hollandaise, dominaient le marché et du coup contrôlaient le prix du pétrole.

De sorte que l'explosion du marché pétrolier ne profita guère aux pays producteurs pauvres dont les richesses naturelles ne s'en trouvèrent que plus pillées. Et c'est pourquoi les dirigeants de ces pays, même les plus timorés, cherchèrent à augmenter un peu la maigre part des profits pétroliers qui leur revenait.

A partir de 1948, certains pays pétroliers parvinrent à obtenir des accords qui prévoyaient un partage égal des profits à la production avec les trusts. Cela ne coûtait pas bien cher aux trusts car ce partage ne portait que sur les bénéfices qu'ils voulaient bien déclarer et seulement dans le domaine de la production. Et il leur suffisait de vendre leur pétrole à bas prix aux transporteurs, raffineurs et distributeurs pour s'y retrouver puisque c'étaient eux-mêmes ou leurs filiales qui assuraient ces opérations.

A la fin des années 1950, les "majors" lancèrent une brutale attaque contre les revenus des pays producteurs. Leur souci était de conquérir le marché énergétique européen, d'évincer le charbon qui était alors la principale source d'énergie en commercialisant du pétrole à bas prix. Pour cela elles firent baisser les prix de 18% en 1959 puis une nouvelle fois en 1960, réduisant d'autant les revenus des pays producteurs.

C'est précisément ces deux baisses qui furent à l'origine de la création de l'OPEP. Il s'agissait d'obtenir des compagnies qu'elles reviennent sur les baisses de prix en réalisant un front des pays producteurs. Pour cela ils tentèrent de coordonner leurs politiques ou tout au moins d'éviter que les trusts puissent les jouer les uns contre les autres.

Intérêts des pays producteurs... et intérêts des compagnies

Les dirigeants à l'origine de l'OPEP ne cherchaient pas à s'en prendre à l'impérialisme. Certains devaient d'ailleurs à l'appui des trusts de se maintenir au pouvoir, quand ils n'y avaient pas été placés par eux. Tout au plus voulaient-ils contenir les appétits dévastateurs des "majors".

Pendant dix ans, pourtant, l'OPEP ne fit guère parler d'elle, et ne marqua de point, ne serait-ce que faute de pouvoir réunir en son sein l'ensemble des pays producteurs.

Et si, en 1973, l'OPEP sortit de l'ombre, ce fut avant tout parce que l'Etat américain et les trusts choisirent de se servir d'elle comme paravent pour obtenir la hausse des prix pétroliers qu'ils souhaitaient. En effet, il s'agissait pour les compagnies d'augmenter leurs marges bénéficiaires dans les pays pauvres tout en rendant profitable l'exploitation de puits dans les pays riches, et en particulier aux Etats-Unis, malgré les coûts élevés de la production. Dans ce qu'on a appelé le "choc pétrolier", l'OPEP servit de bouc émissaire auprès des opinions publiques occidentales pour une opération dont elle n'était ni l'instigatrice, ni la principale bénéficiaire. D'autant moins d'ailleurs que l'essentiel des revenus additionnels dont bénéficièrent les pays producteurs se trouvèrent aussitôt recyclés dans les pays occidentaux, que ce soit sous la forme de commandes d'Etat (en armes en particulier) ou sous la forme des fameux "pétro-dollars" qui allèrent grossir la masse des capitaux mis à la disposition des trusts impérialistes.

L'OPEP n'a donc pu protéger les intérêts des pays producteurs, et encore de façon limitée, que dans la mesure où ces intérêts coïncidaient avec ceux des trusts. Mais dès lors qu'il y a eu divergence, l'OPEP est retombée dans l'impuissance. Ses tentatives de peser sur les prix en instaurant des quotas de production n'ont guère eu d'effet. Elles n'ont pas empêché les prix de retomber dans les années 1980 et 90. Et la récente retombée du prix du brut n'a été possible que parce que cela correspondait de nouveau aux intérêts des compagnies.

L'OPEP n'a donc jamais été ce cartel tout-puissant capable de "prendre le monde en otage". Ce n'est qu'une tentative guère efficace de pays pauvres, victimes de l'échange inégal dans le domaine du pétrole comme pour toutes les autres matières premières, pour se protéger contre le pillage des trusts. Ceux qui prennent le monde en otage, au sens strict du terme, ce sont ces grands trusts, pétroliers ou autres, qui sont assez puissants pour imposer leur loi sur le marché mondial dans son ensemble, dans les pauvres comme dans les pays riches.

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