Lire : 1907 la guerre du vin - Chronique d'une désobéissance civique dans le Midi (de Georges Ferré)20/10/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/10/une-1684.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Lire : 1907 la guerre du vin - Chronique d'une désobéissance civique dans le Midi (de Georges Ferré)

(1907, la guerre du vin, Chronique d'une désobéissance civique dans le Midi, Edition Loubatières, 140 pages plus une soixantaine de pages de photos, 150 francs)

Ecrit par un historien, ce livre, sur la crise qui secoua tout le Midi viticole en 1907, raconte par le menu les événements qui marquèrent cette année-là. C'est un peu fastidieux mais riche d'enseignements.

De ces événements, il reste le souvenir d'une grande révolte et de la mutinerie du 17e régiment d'infanterie, immortalisées par la chanson du chanteur social le plus populaire de son temps, Montéhus, " Gloire au 17e ". Mais Georges Ferré détaille ce qui se passa réellement.

La crise viticole

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, le Midi languedocien n'était pas exclusivement voué à la vigne. La monoculture s'installa avec l'arrivée du chemin de fer en 1853. Avec elle, richesse et misère allaient dépendre exclusivement du cours du vin.

Au tournant du siècle, les prix s'effondrèrent à la suite de l'arrivée des vins d'Algérie et du développement des pratiques frauduleuses de chaptalisation, mouillage, etc., permettant d'augmenter les quantités produites tout en baissant les coûts de revient. Dans les années 1900-1907, les petits propriétaires devenaient enragés en assistant à la fonte de leurs revenus et à l'accumulation de leurs dettes tandis que les journaliers et tous les ouvriers de la vigne sombraient dans une misère terrible.

La révolte

Face à la situation, le gouvernement dirigé par Clemenceau se contentait, en janvier 1907, d'envoyer une commission d'enquête parlementaire dans le Midi. A l'appel d'un petit viticulteur, Marcelin Albert, la population commença à se mobiliser et les manifestations à se multiplier : 600 personnes, puis 1 000, puis 5 000, puis 10 000 à 15 000 personnes. En mai-juin, ce fut l'explosion : le 5 mai, 80 000 personnes à Narbonne, puis 160 000 à Béziers, 172 000 à Perpignan, 250 000 à Carcassonne. Le 2 juin, 300 000 personnes se rassemblèrent à N"mes et enfin le 9 juin, à Montpellier, on parla de 600 000 à 800 000 personnes !

Marcelin Albert n'en avait que contre les " fraudeurs ", défendant (écologiste avant la lettre !) le "vin naturel" pour faire cesser la misère et s'opposant à toute politique dans le mouvement.

L'autre tête du mouvement était Ernest Ferroul, maire de Narbonne, qui avait participé à la fondation du Parti Ouvrier Français de Jules Guesde et fait un peu de prison pour ses idées, dans sa jeunesse, avant de s'installer dans son rôle de notable local, réputé plus ou moins d'extrême gauche. Pour lui, s'il fallait lutter contre la fraude qu'il jugeait " colossale ", il fallait aussi diversifier la production.

La désobéissance civique et la répression

Devant l'inaction gouvernementale, Ferroul avait menacé de démissionner, ce qu'il fit le 14 juin, bientôt suivi par 442 municipalités qui proclamèrent la grève de l'impôt ! Clemenceau envoya alors l'armée. Les maires " insurgés " furent arrêtés. Ferroul se laissa faire et appela à ne pas user de violence.

Cependant, le 19 juin, à Narbonne, des cuirassiers tuèrent un manifestant et firent plusieurs blessés et le 20 juin, une section tira sur la foule, faisant cinq morts et encore des blessés. C'est ce soir-là que des soldats du 17e régiment, composé d'enfants de la région encasernés à Agde, se mutinèrent et partirent bivouaquer au centre de Béziers. Le 23 juin, Marcelin Albert prenait l'initiative de se rendre, seul, à Paris, pour rencontrer Clemenceau qui le reçut effectivement, sans rien lâcher d'autre que... 100 francs pour son billet de retour ! L'aventure valut à Albert de perdre totalement l'estime des vignerons.

Le dernier mot reste à l'ordre

Clemenceau fit voter, le 29 juin, une loi interdisant le mouillage, réglementant le sucrage du vin et instituant une surtaxe pour les sucres destinés à la chaptalisation, loi qui ne fut d'ailleurs pas vraiment appliquée. En même temps il faisait occuper par environ 60 000 soldats le Midi viticole, transformé en pays conquis. Les maires emprisonnés furent libérés et de nouvelles élections municipales annoncées, à l'issue desquelles les ex-municipalités furent réélues triomphalement, sans plus cette fois de désobéissance civique ni de démission fracassante. La révolte était terminée... tandis que les 550 soldats du 17e insurgé étaient déportés à Gafsa dans le sud-tunisien.

Ferroul impulsa la création de la "Confédération Générale des Vignerons" (CGV) dans laquelle il appelait toutes les classes de la société à se retrouver. A l'époque Jaurès approuva l'entrée des ouvriers dans la CGV. En revanche, la CGT, alors anarcho-syndicaliste, y fut opposée, considérant que la CGV était de fait une organisation patronale.

Dans ces événements, le mouvement ouvrier ne put ni ne sut être un pôle d'attraction pour les masses paysannes, capable de donner une perspective à leur colère. Mais les gouvernements bourgeois le furent évidemment encore moins. Après 1907, rien ne fut réglé pour les vignerons du Midi, qui continuèrent, périodiquement, à se rebeller.

Il ne faut pas attendre du livre de Georges Ferré une analyse politique des événements de 1907, mais une chronique quasi au jour le jour qui permet de mieux les comprendre.

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