Un gouvernement plus compréhensif avec les patrons qu'avec les salariés08/09/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/09/une-1678.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

Un gouvernement plus compréhensif avec les patrons qu'avec les salariés

Face au blocage des dépôts de carburants et des raffineries organisé par les transporteurs routiers, il n'a pas fallu longtemps pour que le gouvernement se montre compréhensif. Les négociations avec le ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, ont débouché sur des concessions substantielles, même si elles ne suffisent pas aux transporteurs, qui ont poursuivi leur blocus. L'Etat remboursera aux transporteurs une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP. Il promet également une compensation, allant jusqu'à 40 %, des hausses du prix du gazole liées à l'augmentation des prix du pétrole brut. L'aide ainsi fournie aux transporteurs routiers a été chiffrée à 17 000 F par camion et par an. D'autre part les transporteurs auront la possibilité de répercuter les hausses des prix du carburant sur leurs clients.

En cédant rapidement à cette catégorie, le gouvernement voulait sans doute essayer d'éviter que le mouvement ne s'étende à d'autres. Taxis, ambulanciers, transports de voyageurs, bateliers, mais aussi et surtout bien sûr l'ensemble de ceux qui doivent utiliser leur voiture pour aller travailler, tous sont concernés par la hausse incessante des prix des carburants. Il n'est donc pas dit que le gouvernement se sorte si facilement de cette situation.

Parmi les transporteurs routiers, il y a des entreprises d'importance variable, allant de celles qui possèdent une flotte de centaines de camions au simple artisan, et il en est de même pour les taxis, les ambulanciers ou les marins-pêcheurs. Les plus gros se servent des difficultés réelles des petits pour justifier leurs exigences vis-à-vis de l'Etat. Mais à la fin, c'est évidemment eux qui ramassent la plus grande partie des aides de celui-ci. Et il faut constater que ce gouvernement, quand il a affaire au patronat ou à une partie de celui-ci, sait faire preuve de diligence. Cela tranche avec son manque d'empressement lorsqu'il se trouve confronté aux revendications des salariés, que ce soit ceux de Givet cet été, ou auparavant par exemple les employés des transports de fonds ou ceux de Michelin.

Parmi tous ces patrons, petits, moyens ou plus gros, beaucoup ne manquent pas de vilipender les salariés lorsqu'ils se mettent en grève. Ce sont souvent eux qui accusent les cheminots, les chauffeurs d'autobus ou les postiers de prendre en otage la population, voire tout le pays, lorsqu'ils cessent le travail et interrompent ainsi le service public. Mais bloquer une raffinerie avec quelques camions prélevés sur la flotte d'une grosse entreprise de transport, en privant d'essence toute la population d'une région, qu'est-ce que c'est ? Ces patrons, même très minoritaires, utilisent les moyens qu'ils ont pour imposer leurs exigences à l'Etat. Alors de quel droit le reprochent-ils aux travailleurs, dont l'activité fait vivre toute la société... et y compris les entreprises de transport ?

Et puis ce sont aussi les mêmes patrons qui n'hésitent pas à demander des aides à l'Etat, ou des ristournes sur les taxes qu'ils payent, alors qu'en réalité ils bénéficient déjà d'une aide considérable, ne serait-ce que parce que l'Etat met à leur disposition un réseau routier qu'ils ne payent pas, ce qui les met en meilleure position face au transport ferroviaire, qui serait pourtant souvent le moyen le plus rationnel et le plus sûr.

Bien sûr, le mécontentement contre la hausse des prix du carburant est partagé par toute la population. Mais le gouvernement n'a pas le même comportement vis-à-vis de celle-ci que vis-à-vis des patrons routiers. Les quelques mesures annoncées par Fabius dans son plan de baisse des impôts, y compris la suppression de la vignette auto, sont loin de compenser la ponction que cette hausse représente sur le pouvoir d'achat d'un ouvrier ou d'un employé obligé d'utiliser son véhicule pour aller travailler. A ceux-là, le gouvernement ne promet que le maintien du blocage des salaires, au nom comme toujours de la " compétitivité " de l'économie. C'est le même argument d'ailleurs qu'utilisent les patrons du transport routier vis-à-vis de leurs salariés lorsqu'ils invoquent la concurrence européenne, ou... les prix du gazole, pour justifier les salaires misérables et les conditions de travail physiquement insupportables qu'ils imposent aux chauffeurs routiers.

Alors oui, ce gouvernement se montre comme toujours infiniment plus sensible aux exigences du patronat qu'aux revendications des salariés. Ce n'est pas une question de logique économique, de " compétitivité " ou d'impératifs de concurrence : c'est un choix. Et si nous ne voulons pas que ce soit encore nous qui payons demain les concessions faites aux patrons du transport routier, c'est à nous, travailleurs, d'en tirer les conclusions, en nous servant de notre force collective pour imposer au patronat et à l'Etat d'autres choix. A commencer par prendre sur les profits des grandes sociétés pétrolières - ou des gros transporteurs - plutôt que de faire payer l'ensemble des travailleurs.

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