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Indonésie : Le procès de Suharto
L'ex-président indonésien Suharto devait comparaître devant un tribunal de Djakarta pour avoir détourné des fonds publics. Son procès vient d'être ajourné jusqu'au 14 septembre prochain. Raison invoquée : les séquelles neurologiques dont souffre Suharto suite à une récente crise cardiaque.
Suharto est accusé du détournement de 571 millions de dollars (soit plus de 4 milliards de francs) au détriment de fondations caritatives dont il avait la gestion. Cet acte d'accusation paraît bien dérisoire au regard des 15 milliards de dollars de sa fortune personnelle, en grande partie conservée dans les coffres de banques étrangères (ce qui en fait l'un des hommes les plus riches du monde). La fortune personnelle de Suharto est le résultat de longues années de pillage de l'économie nationale durant son règne, de 1965 à 1998, date à laquelle il a été sommé par l'impérialisme, à la suite d'émeutes populaires, de céder la place.
Avec l'aide de son clan familial et des chefs militaires, Suharto a pendant toutes ces années littéralement mis en coupe réglée des secteurs entiers de l'économie indonésienne, du pétrole aux péages routiers, des mines aux plantations, prélevant sa dîme au passage et réprimant dans le sang toute tentative de révolte des masses populaires.
Bourreau sanguinaire de son peuple, protégé par l'impérialisme américain, Suharto parvint au pouvoir par un coup d'Etat en 1965, destituant le leader nationaliste Soekarno. Ce putsch militaire fut aussitôt suivi du massacre de centaines de milliers de communistes indonésiens. Bilan de cette terreur blanche : 500 000 à deux millions de morts, selon certaines estimations. " Un des pires meurtres de masse du XXe siècle ", selon un membre de la CIA. Sans oublier la répression sauvage exercée par l'armée indonésienne au Timor oriental, dans les années 1970 et jusqu à 1999.
Tout en étant à l'origine des chefs d'inculpation pour corruption contre Suharto, le pouvoir actuel n'entend pas faire le procès du bourreau et encore moins celui du régime. Le vieux dictateur n'a donc pas trop de soucis à se faire. Il bénéficie de la sympathie de la magistrature, gangrenée par la corruption, et du soutien des généraux. Et quelle qu'en soit l'issue (si tant est qu'il ait lieu), le procès Suharto constitue un véritable jeu de dupes. Le gouvernement actuel fait preuve d'une très grande prudence et surtout d'une parfaite hypocrisie. Car juger l'ancien dictateur sanguinaire qu'est Suharto pour un délit relativement mineur de détournement de fonds publics, c'est une façon pour lui de jeter de la poudre aux yeux des masses indonésiennes pour leur faire oublier l'essentiel : qu'il y a une continuité du pouvoir entre le régime militaire d'hier et le pouvoir civil d'aujourd'hui.
Le président Wahid qui a remplacé Suharto à la tête de l'Etat espère peut-être tirer un profit politique du procès pour consolider sa position. Mais, en tant qu'homme politique responsable de la bourgeoisie, il se garde bien de remettre en cause le rôle passé et présent de l'armée, véritable colonne vertébrale de l'Etat. D'où sa récente déclaration sur le pardon qu'il accorderait à l'ancien dictateur en cas de condamnation... si celui-ci s'engageait à rembourser une partie des sommes détournées ! Une façon de ménager les susceptibilités des chefs militaires suhartistes omniprésents dans la vie politique et qui règnent sur un vaste empire économique dont ils entendent bien préserver les intérêts. Ces mêmes généraux suhartistes ont récemment fait voter leur présence au sein de l'Assemblée consultative jusqu'en 2009 (une assemblée qui a le pouvoir de nommer le chef de l'Etat). Ils ont également fait adopter un amendement constitutionnel qui devrait leur garantir l'impunité sur leurs crimes passés ou plus récents, au Timor oriental.
Le régime dictatorial de Suharto a laissé la place au gouvernement d'Abdurrahman Wahid, avec la bénédiction de l'impérialisme américain. Mais l'armée, omniprésente, détient toujours la réalité du pouvoir, continue de veiller sur les intérêts de la bourgeoisie et reste prête à agir violemment contre toute révolte des masses, que Suharto soit condamné ou non.