Russie : Dans le miroir de la mer de Barents25/08/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/08/une-1676.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Dans le miroir de la mer de Barents

Dire, comme certains journaux d'ici, que la tragédie du Koursk a servi de révélateur aux yeux de l'opinion russe, est abusif.

La morgue des militaires russes, leur indifférence au sort des conscrits sont réels, mais c'est n'est ni propre à l'armée de ce pays, ni un secret pour sa population. On l'a vu à ses réactions, sous Eltsine, lors de la guerre de Tchétchénie de 1994-1996, et on commence à le voir avec celle déclenchée par Poutine en octobre dernier.

Quant à l'état de délabrement des forces navales, et armées en général, là non plus, guère de monde en doute en Russie. La vue de Mourmansk, capitale portuaire du Grand Nord, et de sa voisine Severomorsk, une des plus grandes bases navales au monde, transformées en cimetières marins avec leurs navires pourrissants à quai, cela peut surprendre des reporters occidentaux. Parce qu'ils résident à Moscou, ils croient ou feignent de croire que toute la Russie est à son image. Mais les habitants de ce pays ne s'y trompent pas. Ils savent à quoi s'en tenir sur l'état d'abandon dans lequel est tombée l'immense majorité du pays, sur le délabrement de l'économie et le pillage des fonds publics auxquels n'échappent ni l'armée ni la marine. Il n'y a pas que le port de Mourmansk qui tombe en ruines, c'est toute cette ville de plusieurs centaines de milliers d'habitants, il y a dix ans encore une des plus prospères d'Union soviétique, qui est sinistrée. Ce sont les régions du Grand Nord dont, depuis des années désormais, la télévision russe annonce régulièrement qu'elles restent sans ravitaillement ou qu'elles n'ont pas assez de combustible pour passer l'hiver.

Ce n'est pas d'avoir claironné que le Koursk était un fleuron de la flotte, le dernier cri de la technique militaire russe qui change grand-chose au tableau. Au contraire. Quelle que soit la cause réelle du naufrage, cela n'en souligne que plus qu'il survient sur fond d'une débâcle économique et sociale généralisée, provoquée par ceux qui dirigent la Russie.

En dix ans, ce qui fut la seconde puissance militaire mondiale a perdu plus de la moitié de ses submersibles. Et nombre d'ingénieurs, techniciens, ouvriers qualifiés indispensables à leur maintenance et à leur fonctionnement : non payés, comme bien des travailleurs en Russie, ils ont dû chercher de quoi survivre dans des petits boulots.

Avec la débâcle de ses finances, l'État a réduit ses budgets militaires et même, officiellement, de 90 % celui de sa marine (pourtant, ce n'est pas le dernier sur la liste des priorités du Kremlin, ce qui en dit long sur les budgets civils et sociaux). Et encore, les 10 % restants sont estimés avant que la hiérarchie militaire et les autorités locales les aient pillés !

Des navires ont disparu, on ne sait ni où ni comment, probablement revendus par ceux qui pouvaient le faire. La solde ? Non versée, ou irrégulièrement, même celle des officiers est dérisoire. Pour certains d'entre eux ce n'est pas dramatique car ils trouvent toujours matière à trafiquer avec tout ce qui leur tombe sous la main. À commencer par les recrues qu'ils placent, contre pots-de-vin, auprès d'entrepreneurs ou de particuliers, notamment dans le bâtiment. Soldats et matelots n'y gagnent rien, mais au moins ont-ils de quoi manger. D'autres, rapportait récemment la presse russe, envoyés garder un îlot de la mer du Japon, y sont morts de faim : l'armée les avaient abandonnés sans vivres.

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