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- Lutte ouvrière n°1676
- Lire : Bonnes feuilles de " Paroles de prolétaires ", d'Arlette Laguiller - "à un mètre d'une machine, il peut faire 60° c"
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Lire : Bonnes feuilles de " Paroles de prolétaires ", d'Arlette Laguiller - "à un mètre d'une machine, il peut faire 60° c"
Nous poursuivons cette semaine la publication d'extraits du livre d'Arlette Laguiller, Paroles de Prolétaires, paru au printemps 1999. Ce livre rassemble de nombreux témoignages de travailleurs illustrant ce qu'est aujourd'hui encore la condition de la classe ouvrière.
Dans le chapitre de ce livre intitulé Travail en équipe et flexibilité, les deux mamelles du profit, Djamel, ouvrier dans une grande verrerie de la région parisienne, parle des conditions de travail et des horaires déments qui règnent dans l'entreprise qui l'emploie.
" L'usine dispose de trois fours, qui fondent du verre pour dix lignes de fabrication. Les flacons sont produits au " bout chaud ", par des machines qui soufflent le verre (le " soufflage "), puis des convoyeurs les amènent dans un four de traitement (l'" arche "). Ils entrent alors dans une zone qu'on appelle le " bout froid ", au bout de laquelle les flacons sont emballés et mis en palette (la " palettisation "). Les conditions de travail sont dures, surtout les horaires : l'usine fonctionne à feu continu, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Les ouvriers travaillent sur un rythme de neuf jours, par exemple deux jours du matin (de 4 heures à midi), deux jours d'après-midi (de midi à 20 heures), trois jours de nuit (de 20 à 4 heures), deux jours de repos. La série de trois jours tombe successivement sur les matins, les après-midi, les nuits ou les repos. Chaque mois, il y a deux jours de " repos supplémentaire " pour respecter la durée légale de travail. Chaque vacation dure 8 heures, mais il faut arriver en avance pour s'habiller, et la douche est prise après le temps de travail. Par ailleurs, la pause casse-croûte d'une demi-heure est décomptée du temps de travail, si bien que chaque journée est comptée 7 h 30 par la direction.
Quand on arrive à l'usine, surtout au soufflage, la première chose qui impressionne, c'est le bruit. À deux mètres on ne s'entend pas. Même en se criant dans l'oreille. De toute façon on a des bouchons de protection. Les trois quarts du temps, on parle par signes. Il y en a beaucoup qui deviennent durs d'oreille, surtout parmi les anciens, parce que, quand ils ont commencé à travailler, les protections n'étaient pas obligatoires.
L'autre problème, c'est la chaleur. Nous sommes continuellement en sueur. Huit heures par jour. Sur les bleus on voit de grandes traces blanches de transpiration. On boit, au minimum, trois litres de liquide par jour. Ils nous donnent d'ailleurs deux bouteilles d'un litre et demi.
Et boire n'enlève pas la fatigue car, dans un milieu chaud, on est deux fois plus vite fatigué. Quand on doit monter au feeder (les machines qui distribuent le verre goutte à goutte, pour alimenter la ligne de fabrication), on ne peut pas travailler plus de dix minutes. Après c'est terminé, il faut redescendre, sinon on commence à voir des étoiles.
Par forte chaleur, il y en a qui ont des malaises, surtout quand on s'équipe vraiment : le bleu, la veste, les gants, les manchettes, le casque, les lunettes. À un mètre d'une machine, il peut faire plus de 60'C. Si on met une pièce de métal à un mètre de la machine, il est rapidement impossible de la prendre à main nue, tellement elle est chaude. Les flacons qui sortent, quand ils passent devant toi, ils sont à 500°C.
Les habits de protection, on ne peut pas les mettre tous. Il ferait trop chaud, surtout en été. Il faut se protéger, bien sûr. En T-shirt, on ne peut pas approcher. Il faut au moins une veste. Il y a deux ans, un gars, qui venait juste d'arriver, a pris les consignes au pied de la lettre. Dès qu'il y avait un enverrage (le verre qui coule sur la machine), il arrêtait la section (la partie de la machine concernée) pour mettre le casque, les lunettes, les manchettes, les gants... Mais il a fini par perdre connaissance. Il a eu un coup de chaleur.
En hiver, le problème c'est qu'à côté de la machine on a bien chaud, mais que dès qu'on se recule on sent les courants d'air.
Les yeux aussi en prennent un coup, quand on regarde un flacon à 500° C. Mais pour la boîte il n'y a pas de problème. On ne peut pas porter de lunettes, car on ne verrait pas les défauts.
Mais le plus difficile à supporter, ce sont les horaires. D'après eux, nous faisons 35 heures. En fait, nous travaillons sept jours d'affilée, 8 heures par jour. Pour moi, ça fait 56 heures.
Par exemple quand je suis du matin, je me lève à 3 heures. Et encore, je n'habite pas très loin. Des collègues qui habitent à soixante-dix kilomètres se lèvent à 1 heure du matin pour venir travailler. Selon les personnes, il y en a qui ne savent pas se coucher tôt. Avant le premier matin, ils se couchent à 11 heures ou minuit. Deux ou trois heures après, ils doivent se lever, alors, ils font la sieste dans l'après-midi. D'autres se couchent à 9 heures et ne font pas de sieste. Évidemment, c'est un problème avec les enfants quand ils rentrent l'après-midi. Il y en a qui ont le coup de pompe au travail, surtout quand ils sont du matin. Pendant la pause casse-croûte, beaucoup piquent du nez. Une fois, ils nous avaient convoqués à une réunion qui devait durer jusqu'à 3 heures de l'après-midi. Après une demi-heure... tout le monde dormait.
Un jour, ils nous ont distribué une documentation sur le sommeil. Ils expliquaient que, pour bien récupérer, il fallait dormir à des heures régulières, choisir son heure de départ de sommeil, avoir le même rythme, dormir le temps nécessaire à chacun, six à huit heures... Nous, on se demandait comment faire en finissant une fois à midi, une fois à 20 heures, en commençant à 4 heures...
On ne peut pas manger à l'intérieur de l'usine. Il y a juste une pause casse-croûte, mais on est en bleu, dans la salle de repos, et prêts à intervenir en cas de besoin, de panne électrique ou si une machine fonctionne mal. Logiquement ils devraient nous compter le temps de pause en temps de travail. Même le temps d'habillage, car il faut mettre les chaussures de sécurité, les protections, tout ça, moi j'en ai pour un quart d'heure.
Il n'y a que pour la douche qu'il y a une petite prime. C'est grâce aux camarades qui se sont battus avant nous. Comme on ne voulait pas leur payer le quart d'heure de douche, ils s'arrêtaient un quart d'heure avant, et ils allaient prendre leur douche. Maintenant ils payent, mais c'est englobé dans une prime particulière.
Mais les primes ne compensent pas les conditions de travail.
Si tu es en congé, si tu tombes malade... la prime baisse. Le salaire de base sans ces primes, est de l'ordre de 8 000 francs brut pour un conducteur (celui qui conduit une ligne de fabrication au bout chaud), c'est-à-dire 6 700 francs net. Ce n'est vraiment pas assez. Surtout maintenant, avec les problèmes d'effectifs. S'il y a un gars en moins, il faut compenser et faire son travail. Et puis il y a les cadences qui augmentent de plus en plus. Les machines sont de plus en plus grosses. On a même accolé deux machines. Ils appellent ça un tandem, et ils ont mis un seul ouvrier dessus pour le faire tourner. En réalité, il s'agit de deux machines. Le gars, pour faire le tour de son " tandem ", il met deux fois plus de temps que ses collègues.
Ils ont diminué progressivement les effectifs. En 1982, nous étions 1000. Aujourd'hui, nous sommes 455 et nous produisons beaucoup plus en tonnage, et encore plus en flacons, car à présent on fabrique des flacons avec moins de verre. Si bien qu'en nombre d'articles nous produisons beaucoup plus. "