Le gouvernement de gauche allemand soigne sa bourgeoisie21/07/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/07/une-1671.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Le gouvernement de gauche allemand soigne sa bourgeoisie

Le 14 juillet dernier était un vrai jour de fête nationale pour la bourgeoisie... allemande. Le gouvernement de coalition Social-démocrate-Vert de Schröder a en effet fait voter au Parlement allemand une baisse " historique " des impôts de 291 milliards de francs, pour la période 1998-2005.

Une cuillerée pour les petits salaires, une louche pour les petits patrons, et la marmite pour le gros capital

Le taux d'imposition sur les revenus les plus faibles passera de 22,9 % à 15 % ; la baisse est nettement plus intéressante encore pour les gros revenus : les taux supérieurs tomberont de 51 % à 42 %. Mais le plat de résistance de cette réforme est servi aux patrons : l'impôt sur les bénéfices de toutes les entreprises, aujourd'hui compris entre 30 % et 40 %, sera ramené à 25 %. Les impôts locaux vont être largement réduits pour 80 % des sociétés. Les gains tirés de la vente de petites sociétés seront exonérés. Enfin, et cette mesure risque d'être la plus lourde de conséquences économiques et sociales, l'impôt sur les plus-values réalisées lors de la vente de participations industrielles allemandes sera supprimé.

Une réunification juteuse pour le patronat allemand, payée par les classes populaires

La pression fiscale en Allemagne s'était accrue de façon importante au début des années 90 du fait de la " réunification " : l'absorption de l'Allemagne de l'Est par le capitalisme de l'Ouest a été orchestrée, mais aussi largement financée, par l'Etat de l'ex-RFA. La Treuhandanstalt, agence publique de privatisation, a fourni des subventions colossales aux grosses firmes ouest-allemandes, comme Siemens, Daimler-Benz ou BMW, pour qu'elles prennent le contrôle des entreprises les plus intéressantes à l'Est. L'Etat allemand offrit par ailleurs toutes sortes de réductions d'impôts ou de prêts bonifiés aux entreprises volontaires pour une oeuvre de " réunification " très juteuse pour elles en général : les profits des entreprises ont doublé globalement entre 89 et 97. Ces prises de contrôle se firent au prix d'une augmentation dramatique du chômage et de la précarité du fait des licenciements à l'Est, mais non sans répercutions à l'Ouest, et d'une dégradation importante du niveau des salaires (8,3 % de pertes pour les salaires réels entre 93 et 98).

Les subventions massives au patronat comme l'explosion du chômage entraînèrent une brutale augmentation des dépenses de l'Etat. La facture en fut présentée aux travailleurs et aux classes populaires. Une partie des subventions fournies sous diverses formes aux patrons fut récupérée grâce à une politique d'austérité draconienne, avec blocage des salaires, diminution importante des prestations de la sécurité sociale et du montant des retraites, réduction du nombre de fonctionnaires... Par ailleurs le poids des impôts fut largement accru, et encore répercuté de façon beaucoup plus lourde sur les classes populaires que sur les entreprises. Les impôts indirects - les plus injustes puisque tout le monde les paie aux mêmes taux - furent augmentés : en 92, les taxes sur les assurances ou le carburant, par exemple, étaient relevées de 20 %. Les impôts directs étaient aussi alourdis - en plus d'un impôt " de solidarité " avec l'ex-RDA, ajouté entre 89 et 92 - toujours de façon sélective. De sorte qu'en 92, les recettes fiscales reposaient pour 40 % sur les impôts directs sur les revenus de personnes physiques, pour 25 % sur la TVA, et pour 7 % seulement sur les sociétés !

Vers une " restructuration " du capitalisme allemand ?

Dix ans après, les problèmes de la réunification sont sans doute, du point de vue patronal, en passe d'être résolus, même si - mais de cela les patrons s'en moquent - les inégalités sociales restent très fortes entre les deux parties du pays. Par ailleurs, le contexte international de reprise économique et la relative baisse du chômage - même si elle se traduit, en Allemagne comme en France, par une augmentation proportionnelle de la précarité - allègent aussi les dépenses de l'Etat. Ces deux facteurs expliquent sans doute que le gouvernement " de gauche " de Schröder ait osé cette réforme fiscale réclamée depuis longtemps par le patronat et que son prédécesseur Kohl avait plusieurs fois échoué à mettre en oeuvre.

Une réforme saluée le jour même par une augmentation de 1,7 % de la bourse de Francfort, comme par les déclarations satisfaites du représentant des patrons allemands... et du chef du syndicat IG Metall qui dit espérer " que la réforme créera des emplois ".

Le dispositif mis en place par Schröder vise à favoriser une réorganisation du capitalisme allemand. Celui-ci se caractérise en effet par une très forte interpénétration des capitaux des gros groupes industriels et financiers. L'exonération des plus-values réalisées sur la vente de participations au capital des entreprises vise à permettre un processus de fusions et d'acquisitions à des conditions juteuses. Les grands groupes bancaires ou de l'assurance notamment peuvent se frotter les mains. Pour les travailleurs allemands, le résultat de ces restructurations pourrait en revanche se traduire par de nouvelles attaques, en particulier contre l'emploi.

Schröder aura ainsi bien mérité le sobriquet de " camarade des patrons " que lui avaient collé des opposants syndicalistes de gauche, avant même son accès au pouvoir.

Partager