Ces tortionnaires que la république honore (Editorial des bulletins d'entreprises du 3 juillet 2000)07/07/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/07/une-1669.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Ces tortionnaires que la république honore (Editorial des bulletins d'entreprises du 3 juillet 2000)

La publication, dans le journal Le Monde, du témoignage d'une ancienne militante indépendantiste algérienne, sauvagement torturée pendant la guerre d'Algérie par des militaires français de haut rang (elle a cité les noms des généraux Massu et Bigeard), vient de rappeler des événements vieux de quarante ans et plus, et de les porter à la connaissance de ceux qui n'en avaient jamais entendu parler.

Car s'il ne manque pas de livres et de films pour dénoncer les méthodes de la Gestapo, bien rares sont au contraire les ouvrages ou les films écrits ou réalisés dans ce pays qui disent ce que furent les méthodes employées par les homologues français des tortionnaires nazis. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : non seulement de la violence et de la douleur physique pour essayer de faire parler les prisonniers, mais de la torture morale, du sadisme, des viols de toute sorte, de tout ce que des esprits pervers peuvent inventer pour essayer de dégrader leurs victimes.

Mais certaines des victimes ont survécu. Dès 1957, tous ceux qui voulaient savoir en ont eu la possibilité. Des témoignages (évidemment interdits par les autorités) circulaient sous le manteau. La grande presse a dû évoquer le sujet, même si des guillemets encadraient systématique ment le mot torture, comme pour en discuter l'authenticité. Mais ce n'est évidemment pas cet aspect de la guerre d'Algérie qu'on enseigne aux enfants des écoles.

Aujourd'hui, quarante ans après, la grande presse ne se sent plus obligée de maintenir un voile épais sur les atrocités commises au nom du peuple français en Algérie. Et, après la publication de ce témoignage les mettant directement en cause, Massu et Bigeard ont dû s'expliquer. Le premier a reconnu l'usage de la torture, comme il l'avait déjà fait il y a quelques années dans un livre de Mémoires. Bigeard a nié toute participation personnelle à de tels actes, ne voyant dans cette affaire qu'une machination contre lui ! Mais l'un comme l'autre se sont abrités derrière les consignes données par les hommes qui étaient alors au gouvernement.

Et il est évident que les hommes qui étaient au pouvoir, ceux qui ont donné le feu vert pour l'emploi de la torture en Algérie, et qui ont en même temps fait régner la loi du silence en France, sont les principaux responsables de cette honte.

Parmi eux, il y avait Guy Mollet, chef du gouvernement socialiste en 1956-57, Mitterrand, ministre de la Justice dans ce même gouvernement, le gaulliste Chaban-Delmas, ministre des Armées en 1957-58. Oh, ces gens-là n'ont pas manié personnellement les instruments de torture. Ils n'ont pas appliqué eux-mêmes les électrodes d'une génératrice électrique sur le sexe de leurs victimes, ni essayé de la violer avec une bouteille. Ils ont " simplement ", et c'est pire, couvert, encouragé les agissements de ce qu'il y avait de plus vil dans l'armée française d'alors. Et ils ont continué leurs brillantes carrières après la guerre d'Algérie, tout comme les généraux Bigeard et Massu.

Et pourtant ils savaient bien (Guy Mollet l'avait dit dès 1955) que c'était une " guerre imbécile et sans issue ". Mais pour que la bourgeoisie française n'ait pas trop à perdre à l'indépendance de l'Algérie, ils étaient prêts à utiliser contre les combattants algériens des méthodes héritées des dictatures les plus brutales.

Durant les dernières années de la guerre d'Algérie, l'usage de la torture était devenu si notoire qu'il fut officiellement condamné. Mais il ne disparut qu'avec la fin du conflit.

Ce sont des faits déjà lointains. Mais ils doivent nous rappeler, à nous les travailleurs, que si les politiciens qui se prétendent nos amis aiment discourir sur la démocratie et les droits de l'homme, ils sont prêts à utiliser contre les exploités les pires procédés, dès qu'ils pensent que les intérêts de leurs maîtres, les industriels et les banquiers, sont en danger.

Cela détermine très exactement la confiance que nous pouvons leur accorder.

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