La grande misère des prisons30/06/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/06/une-1668.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

La grande misère des prisons

Le livre du médecin de la prison de la Santé, Véronique Vasseur, avait déjà jeté un pavé dans la mare et rappelé la grande misère des prisons françaises. C'est maintenant le tour des députés de découvrir le monde carcéral : une commission parlementaire a enquêté pour une éventuelle réforme du système pénitentiaire.

Ce qui frappe d'abord c'est l'étonnement des députés qui, sortis tout droit de leur monde feutré et protégé, ont été " secoués " par ce qu'ils ont découvert sur les prisons. On suppose qu'il en serait de même s'ils avaient approché le travail en usine ou la vie en HLM !

Ils ont appris qu'en prison il peut y avoir " six jeunes entassés dans une cellule pour deux ", des " délinquants sexuels ", " violeurs ou pères incestueux " à " l'air respectable ", un détenu en quartier disciplinaire " condamné à deux ans de prison, et (depuis) six ans dans une centrale ".

Il y a aussi " la double ségrégation entre les " Maghrébins " et les autres, et entre les délinquants sexuels et les autres ", le fait qu'on " occulte les problèmes de viol et de sexualité dans les prisons ", et bien sûr la " surpopulation " carcérale.

En tout cas, aucun député n'a découvert de prisons " trois étoiles ", le bobard classique qui traîne dans les journaux dès qu'il y a une explosion de mécontentement dans une prison.

Emus par leur visite, les parlementaires doivent rendre le 5 juillet un rapport qui trace les grandes lignes d'une réforme du régime pénitentiaire. La commission dit souhaiter aller au-delà de l'amélioration des conditions d'existence des 53 000 détenus qui peuplent quelque 187 établissements pénitentiaires.

Elle estime qu'il faut d'abord réduire la population carcérale. Elle dénonce notamment les " courtes peines " pour des faits qui, à ses yeux, ne devraient pas justifier un emprisonnement qui mélange petits délinquants et malfrats chevronnés. Elle envisage donc des alternatives à l'incarcération (régime de semi-liberté, travaux d'intérêt général, bracelet électronique, chantiers de jeunesse).

Elle songe aussi à des unités de vie familiale, des possibilités d'expression pour les détenus et le droit à un travail qualifié correctement rémunéré et non plus mal payé comme c'est le cas actuellement (les industriels du jouet suivront-ils ?). Elle parle de faire donner une formation psychologique aux " matons " (les gardiens de prison) et de féminiser la profession. Il est souhaité que les détenus puissent bénéficier d'une aide psychiatrique en cas de besoin et d'une aide médicale pour s'attaquer à la toxicomanie qui pourrit la vie des prisonniers. Enfin, la commission plaide pour une meilleure aide à la réinsertion.

Les parlementaires ont également noté que la magistrature, qui théoriquement devrait contrôler la prison et empêcher les dérives, a levé le pied.

Le choc ressenti par les députés a été tel que les solutions " sécuritaires " que certains d'entre eux servent à leurs électeurs en période électorale sont ici remisées au placard. Même la députée réactionnaire Christine Boutin, qui s'était offusquée du Pacs, a estimé nécessaire un " débat de fond sur la perpétuité ". Selon elle, " tous les détenus sont amendables. Tous sortiront un jour : c'est l'intérêt du détenu, mais aussi celui de la société. " Elle souhaite par exemple " qu'une peine doit pouvoir être définitivement effacée du casier judiciaire quand un condamné sort de prison ".

Tout cela est bel et bon... à condition que cette commission ne serve pas d'éteignoir, selon la formule classique : " Quand je veux enterrer un problème, je crée une commission ".

La situation réelle des prisons est connue depuis longtemps. On assiste périodiquement à des mutineries de détenus. On parle aussi régulièrement de réformes, mais rien n'a jamais été fait de sérieux. L'isolement des prisons vis-à-vis de l'ensemble de la société est tel qu'on peut y laisser pourrir les hommes et les femmes sans que rien n'y paraisse... Et comme la situation sociale s'est plutôt dégradée ces dernières années, les prisons qui sont finalement remplies, en majorité, de détenus originaires des couches les plus déshéritées ont eu tendance à voir leur population augmenter.

Étant donné le dogme qui guide le gouvernement, celui des restrictions budgétaires qui fait des ravages dans toute la société et notamment tout ce qui est équipements collectifs (transports, services postaux, hôpitaux, etc.), cela augure mal des suites réelles et des améliorations qui seront finalement amenées aux prisons, d'autant plus que cela reste un secteur méprisé de l'opinion et qu'à l'approche d'élections, les candidats ne s'afficheront certainement pas en " réformateurs " de ce côté-là. A moins que la crainte de se retrouver un jour eux-mêmes en prison, à cause des " affaires ", finisse par les motiver...

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