Grève des contrôleurs aériens : La sécurité ou les profits30/06/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/06/une-1668.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Grève des contrôleurs aériens : La sécurité ou les profits

La grève des contrôleurs aériens, lundi 26 juin, a été un succès. Pratiquement neuf vols sur dix partant de France ou y arrivant ont dû être annulés. Quant aux vols survolant le pays (30 % du trafic aérien européen), un quart seulement a pu être assuré.

Les 4 500 " aiguilleurs du ciel " ont, par cette grève, montré leur opposition à un rapport de la commissaire européenne aux Transports dont l'adoption entraînerait la privatisation d'une partie du contrôle aérien.

Mensonge officiel

A l'en croire, et une partie de la presse a relayé ses mensonges, la Commission ne voudrait qu'améliorer la navigation aérienne et lutter en particulier contre les retards des vols. Et d'affirmer, sans jamais le démontrer, et pour cause, qu'il faudrait séparer les fonctions de régulateur de celles d'opérateur du contrôle aérien. En bref, il faudrait laisser aux Etats le soin d'édicter et de faire respecter les règles en la matière, en dessaisissant les organismes publics ou parapublics qui organisent actuellement le contrôle aérien. Cela, au profit d'organismes ne relevant pas forcément du secteur public et pouvant dépendre d'un autre pays que celui concerné. Le tout, au nom de la construction d'un " espace aérien européen unique ".

Sous la présentation " technique " et " européaniste " d'une mesure prétendument nécessaire à l'amélioration du trafic aérien, la Commission de Bruxelles laisse pointer ses gros sabots. Elle veut remettre au privé un secteur qui lui échappe totalement en Europe, hormis un début de privatisation en Grande-Bretagne.

Un ciel en or

Il faut savoir, en effet, que le contrôle aérien brasse des masses d'argent augmentant à mesure que se développe un transport aérien (il a doublé en dix ans) dont les perspectives d'accroissement font piaffer d'impatience les détenteurs de capitaux.

C'est bien sûr pour satisfaire ces derniers que nombre d'Etats européens ont déjà privatisé leurs compagnies nationales. Ou qu'on commence à voir coter en Bourse des aéroports, construits sur des fonds publics mais gérés par les chambres de commerce et d'industrie.

S'agissant du contrôle aérien, il n'y a pas que les redevances acquittées par les compagnies qui excitent les convoitises privées. Nombre d'activités connexes de ce secteur (mise au point et commercialisation de logiciels de contrôle, d'appareils radars ou autres), également fort rentables, feraient les choux gras du privé en cas d'une privatisation, même partielle, du contrôle aérien.

Comme la Commission de Bruxelles ne peut l'avouer crûment, elle invoque l'augmentation des retards des vols pour avancer ses pions. Des projets que partagent, évidemment, des Etats nationaux auxquels elle rend service en évitant, par exemple, à Jospin-Gayssot d'apparaître ouvertement comme les maîtres d'oeuvre de cette privatisation.

Le comble est que le prétexte invoqué n'est qu'en faible partie imputable au contrôle aérien civil. Les retards ont augmenté de 15 % en un an, a insisté la presse, mais pour des raisons sur lesquelles elle garde le silence-radio. A commencer par la croissance du trafic : la multiplication des opérations d'atterrissage et de décollage provoque, en engorgeant les aéroports, des retards en cascade qui se cumulent quand un avion manque son " créneau " d'envol. Le phénomène est encore aggravé du fait que, dans leur course à la rentabilité, les compagnies, plutôt que des gros porteurs, préfèrent utiliser de petits avions plus faciles à remplir sur certaines lignes et donc plus rentables pour elles. Du coup, pour une même destination et un même nombre de passagers transportés, on a non plus un, mais deux voire trois vols, ce qui surcharge le contrôle aérien, et empoisonne la vie des riverains des aéroports !

La faute des compagnies et des militaires

Que la course au profit des compagnies aériennes soit la cause principale de ces nuisances et retards, c'est une évidence que s'applique à masquer la Commission européenne. Ces compagnies privées ou privatisées sont d'un tel rapport pour leurs actionnaires que, dans la logique du capital qui est celle des gouvernements comme de la Commission, ce serait un crime de les mettre en cause auprès du public. Surtout si elles devaient verser des pénalités à leurs clients pour des retards qui leur incombent dans la plupart des cas, alors qu'elles lorgnent déjà sur ce qu'elles auraient à gagner à la privatisation du contrôle aérien !

Il est une autre cause de dysfonctionnement que la Commission s'évertue à camoufler : la guerre des grandes puissances et de l'OTAN contre la Yougoslavie qui a, des mois durant, perturbé le ciel civil de l'Europe du sud et de l'est en 1999. En temps de paix, les militaires se réservent déjà 80 % des couloirs aériens, ce qui ne facilite pas le trafic civil. Mais avec la guerre des Balkans, ils ont monopolisé tout le trafic sur un bon quart du ciel de l'Europe. Les gouvernements européens qui ont mené cette sale guerre, et la Commission de Bruxelles qui l'a soutenue, préfèrent ne pas en parler et... montrer du doigt les contrôleurs aériens civils.

Ce sont ces derniers - et plus largement tous les personnels de l'aviation civile : navigants, hôtesses, ouvriers et techniciens d'entretien, etc. - que vise encore le rapport quand il dénonce " la résistance au changement " et " exhorte les gouvernements des Etats membres qui actuellement tolèrent que des conflits du travail perturbent le trafic aérien, à s'attaquer d'urgence à ce problème ". Haro sur les empêcheurs de voler en rond, au propre comme au figuré !

Et si le ciel nous tombait sur la tête...

S'ajoute à cela toute une série de mesures et recommandations qui tendent à augmenter le rendement des contrôleurs. Ce n'est pas original : gouvernements et patrons agissent tous de même contre le monde du travail. Mais là, c'est avec un mépris évident, non seulement pour ces travailleurs, mais pour la sécurité qu'ils assurent à des millions de passagers alors que le trafic aérien atteint le seuil de saturation.

Autant dire que les contrôleurs aériens ont mille fois raison de s'opposer à une privatisation qui aggraverait leurs conditions de travail et de dénoncer la course au profit privé qui fait fi de la sécurité. Et le plus scandaleux est que la Commission, agissant pour le compte des gouvernements européens, prétend, tout au long de son projet, se préoccuper de sécurité. Car qui peut oublier qu'en Angleterre, la privatisation du rail est à l'origine de la récente catastrophe meurtrière d'un train de banlieue londonien, des économies ayant été faites sur la plus élémentaire sécurité, que des voyageurs ont payées de leur vie !

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