Douvres : Les victimes d'un système social digne du moyen age23/06/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/06/une-1667.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

Douvres : Les victimes d'un système social digne du moyen age

La découverte de cinquante-huit cadavres d'immigrants clandestins dans un camion à Douvres a entraîné la condamnation des dirigeants européens. Ceux-ci ont dit leur émotion, condamné les trafiquants de chair humaine qui organisent ces voyages, déclaré qu'il faudra prendre des mesures. Mais il y a là une odieuse hypocrisie.

Oui, les passeurs, les mafias qui organisent le passage des immigrants clandestins et leur entrée dans les différents pays d'Europe sont des trafiquants de chair humaine sans scrupules. Ils spéculent sur le fait que des centaines de milliers de personnes sont prêtes à dépenser des sommes qui pour elles sont énormes, et à prendre d'énormes risques, pour tenter l'immigration dans un de ces pays riches où les attend un travail dur, mal payé, sous la menace permanente de l'expulsion, mais dont elles pensent qu'il sera toujours mieux que la misère sans espoir de leur pays d'origine.

Après avoir extorqué aux candidats à l'immigration leurs dernières économies, les passeurs les emmènent dans un de ces voyages risqués, souvent vers la mort. Ils peuvent mourir, on l'a vu, dans un camion sans aération. Cela s'est produit au cours d'un voyage entre deux pays de l'Union européenne. Mais combien meurent aussi parce qu'ils ont tenté de traverser le détroit de Gibraltar, en provenance d'Afrique, sur une embarcation de fortune ? Combien dans l'Adriatique où un trafic permanent amène vers les côtes italiennes des immigrants venus d'Albanie ou de Turquie ?

Car l'Europe des Quinze, cette Europe qui se veut un havre de prospérité et de liberté, s'est entourée à ses frontières de contrôles toujours plus sévères. Pour empêcher l'immigration clandestine, sa police patrouille en permanence au large des côtes italiennes ou espagnoles. A l'est de l'Europe, c'est un nouveau rideau de fer à l'envers qui fonctionne pour empêcher les immigrants en provenance de Russie, de Pologne ou d'autres pays d'entrer sur le territoire allemand et donc dans l'Union européenne.

Alors les dirigeants des Quinze qui déclarent qu'ils vont progresser " vers une politique commune d'asile et de migration ", et qui versent des larmes de crocodile sur les morts de Douvres, en sont aussi responsables que les passeurs, en particulier le gouvernement français et son ministre de l'Intérieur, Chevènement, qui s'obstinent à maintenir des dizaines de milliers de sans-papiers dans la situation de clandestins, proies faciles pour des trafiquants comme ceux qui ont agi à Douvres.

La seule mesure concrète que les Quinze annoncent aujourd'hui, c'est de renforcer la coopération de leurs polices contre les filières de l'immigration clandestine. Les contrôles aux frontières de l'Union européenne vont donc encore se renforcer, mais cela ne découragera évidemment ni les candidats à l'immigration ni les passeurs. Cela rendra simplement ces voyages plus risqués, plus chers, et le trafic encore plus profitable.

Bien sûr, il n'y a pas de solution et il ne peut y en avoir dans une société qui accumule d'une façon aussi scandaleuse la richesse d'un côté et la pauvreté de l'autre. Les pays d'Europe ou d'Amérique du Nord ne constituent un havre de prospérité - et encore, en réalité seulement pour une partie de leurs habitants - que parce que le reste de la planète s'enfonce dans la misère. Des pays, voire des continents entiers, sont en proie à la faim. Des hommes peuvent être prêts à tout pour la fuir, surtout quand elle se double de la guerre civile, comme dans bien des pays d'Afrique, ou du règne des mafias et du banditisme organisé. Et toutes les frontières dont l'Europe et l'Amérique se bardent ne pourront jamais empêcher les candidats à l'immigration d'Afrique, d'Asie ou d'Europe de l'Est, de tenter leur chance.

Les découvertes techniques, les connaissances scientifiques d'aujourd'hui permettraient sans problème à toute la société humaine de manger à sa faim et de vivre dans l'aisance. Mais c'est son organisation économique, le système capitaliste, qui est depuis longtemps dépassée. C'est elle qui produit à chaque instant l'inégalité, la violence, la nécessité de contrôles, de polices, de barbelés pour protéger les richesses, que les uns accaparent aux dépens des autres. L'existence des frontières et de contrôles policiers toujours plus stricts, à une époque où le développement des transports devrait rendre la libre circulation des personnes tout à fait naturelle, n'est qu'un aspect de la défense de cet ordre social non seulement injuste et abject, mais absurde et irrationnel.

Alors oui, il faudra bien que la société humaine progresse, dépasse cette organisation capitaliste de la société qui démontre chaque jour son injustice et son absurdité. Ceux qui nous gouvernent aujourd'hui, et qui ne savent répondre à un drame comme celui de Douvres que par le renforcement des contrôles, ne sont que les défenseurs honteux d'un ordre social digne du Moyen Age.

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