Les compères05/05/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/05/une-1660.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Les compères

La presse est unanime à saluer l'habileté du nouveau ministre de l'Education Nationale, Jack Lang, à apaiser la colère des enseignants après le conflit du mois de mars. Ce succès, Lang ne le doit pourtant pas tant à sa propre dextérité qu'à la duplicité des dirigeants syndicaux qui lui servent d'interlocuteurs.

Les ministres passent

Les grèves du mois dernier se sont déclenchées, rappelons-le, en riposte à une série de mesures d'austérité qui visaient d'une part à réduire l'emploi statutaire et d'autre part à dégrader la qualité de l'enseignement.

Côté enseignement professionnel, la charte de l'enseignement professionnel intégré allégeait le contenu des BEP-CAP tout en les soumettant plus étroitement aux desiderata patronaux ; le nouveau statut des professeurs de lycées professionnels, équivalent dans son principe à la Loi Aubry, introduisait l'annualisation du temps de travail. Côté enseignement général et technologique, après de sérieux allégements d'horaires et la diminution continue des postes ouverts aux concours de recrutement, Claude Allègre prévoyait l'introduction de " travaux personnels encadrés ", en théorie destinés à aider les élèves en difficulté (qui pourrait s'en plaindre ?) mais en fait prétexte commode pour déréglementer les horaires des profs.

Après les mobilisations non seulement des enseignants mais aussi des parents contre le manque de postes, notamment dans le Gard et l'Hérault, c'est surtout le projet de réforme des lycées professionnels qui mit le feu au poudre fin février. Sans qu'aucune organisation syndicale ne l'ait vraiment enclenché, le mouvement de grève prit de l'ampleur, s'organisa, descendit dans la rue. Le 6 mars, 8 000 enseignants manifestaient à Paris. Les représentants des syndicats des lycées professionnels réunis au ministère votaient contre le projet de réforme, hormis deux abstentions, le SNALC (syndicat orienté à droite) et le SNETAA, membre de la FSU, principale fédération enseignante, abstention qui entraîna un large désaveu de la base.

Ce même 6 mars, une coordination enseignante réunie à Paris adoptait une plate forme exigeant le retrait des réformes et le refus de la précarité. Plate-forme qui fut par la suite élargie aux revendications des enseignants des collèges, écoles et lycées généraux, notamment contre la pénurie de moyens.

Alors, bien qu'il ait un temps lanterné, le SNES (FSU), principal syndicat du secondaire, finit par prendre le train de la mobilisation, fixant à plusieurs reprises de vastes journées d'action. On vit plus de 800 000 grévistes et 200 000 manifestants à travers toute la France. Dans la majorité des lycées professionnels, et même dans d'autres établissements, la grève était reconduite de jour en jour, sans pourtant que les principaux syndicats y poussent.

Leur politique demeure

Le départ de Claude Allègre fut ressenti par beaucoup comme une victoire morale, non sans une certaine méfiance : le nouveau ministre ne semblait pas pressé de dévoiler ses batteries. Une méfiance maintenant confirmée : un nouveau projet de décret, identique à celui du 6 mars, a été soumis le 13 avril aux organisations syndicales. Un projet qui n'inclue de nouveau que les maigres concessions déjà faites par Allègre au plus fort du mouvement. Cette fois pourtant, seule FO a jugé le projet inacceptable... Tous les syndicats FSU l'ont voté (y compris le SNEEP, qui regroupe les opposants du SNETAA), ainsi que le SNALC et la FEN. La CFDT s'est abstenue (prétextant des " avancées ") et la CGT s'est réfugiée dans un ambigu refus de vote.

Si la mobilisation s'est considérablement affaissée au mois d'avril, c'est sous l'effet de multiples facteurs : illusions d'une partie des enseignants dans le nouveau gouvernement, essoufflement des noyaux durs de la grève des lycées professionnels, proximité des examens. Mais les palinodies des syndicats n'y sont pas non plus pour rien. Leur ralliement éhonté aux réformes Lang, soeurs jumelles de celles d'Allègre, a fortement contribué à démobiliser et désorienter une bonne partie des grévistes comme des militants. Ayant le champ libre, Lang s'est d'ailleurs payé le luxe de confirmer sans attendre le second volet des réformes Allègre, relatives au lycée général, à commencer par les TPE. On comprend que bon nombre de grévistes de mars se sentent aujourd'hui volés de leur victoire...

Et pas seulement chez les enseignants. Bien des salariés des Finances (dont le mouvement, parallèle à celui des enseignants, a entraîné lui aussi la chute de leur ministre, Claude Sautter, en même temps que celle d'Allègre) doivent éprouver le même sentiment en écoutant leurs dirigeants syndicaux " satisfaits " saluer le " changement de ton " de Fabius, son " volontarisme " et son " pragmatisme ", quand ledit Fabius vient juste d'expliquer à mots couverts son intention de reprendre les " réformes " de son prédécesseur sous forme " d'expérimentations "...

La manoeuvre de Jospin, se débarrasser de ministres pour conserver leur politique, est tellement banale qu'il n'y a que des compères pour s'y laisser prendre. Mais de la complicité de ces dirigeants syndicaux Jospin était assuré d'avance. Il a fallu que la base les bouscule pour qu'ils s'en prennent à Allègre, qui leur montrait pourtant ouvertement son mépris. Alors il suffit que Lang et Fabius leur décochent leur plus beau sourire pour qu'ils fondent et s'inclinent. Heureusement, il n'y a que certains médias pour confondre les dirigeants syndicaux et les salariés qu'ils sont censés représenter.

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