Tunisie : Bourguiba " ami de cinquante ans " de l'impérialisme français14/04/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/04/une-1657.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Tunisie : Bourguiba " ami de cinquante ans " de l'impérialisme français

La mort le 6 avril à Monastir de l'ancien dirigeant tunisien Habib Bourguiba, qui régna pendant près de trente ans en Tunisie, a déclenché un véritable concert de louanges de la part des politiciens français, de droite comme de gauche.

Chirac a éprouvé " une profonde tristesse après la disparition d'un ami de la France ". Lionel Jospin s'est empressé de souligner que " Habib Bourguiba a su engager la Tunisie sur le chemin de la modernité ". Séguin pour le RPR, et Delanoë pour le PS, y ont été aussi de leurs couplets élogieux sur le même thème.

Bourguiba, qui accéda au pouvoir le 25 juillet 1957, après l'indépendance de la Tunisie proclamée le 20 mars 1956, sut après quelques nuages assez vite dissipés instaurer de bonnes relations avec l'impérialisme français. Le régime tunisien devint alors pour celui-ci un " exemple " de modernité et de démocratie. En fait, ce fut une dictature personnelle de Bourguiba qui étouffa toute opposition dès le début, et se fit même proclamer président à vie en 1975.

Bourguiba avait acquis sa popularité auprès de la population en tant que dirigeant nationaliste, en apparaissant comme " le combattant suprême " qui obtint l'indépendance. Comme d'autres opposants à l'impérialisme français, il fut emprisonné. Cependant son nationalisme représentait les aspirations d'une certaine petite bourgeoisie prête à des compromis pour sauvegarder ses bonnes relations et son rôle d'intermédiaire local de l'impérialisme français.

Bien sûr, Bourguiba reste sans doute aussi pour les femmes tunisiennes celui qui abolit la répudiation et la polygamie, et leur donna en 1957 le droit de vote et d'éligibilité. Quelques gestes provocateurs vis-à-vis des islamistes, comme celui de fumer ouvertement le jour du ramadan, renforcèrent cette image de " modernité " saluée aujourd'hui par Jospin. Mais il gouverna en despote malgré ses déclarations sur l'attrait irrésistible vers cette " idéologie occidentale attachée au respect de l'homme et de la liberté ". Enfin, la politique de Bourguiba n'a nullement sorti la Tunisie du sous-développement.

Il faut dire que l'impérialisme français, qui pilla sans relâche le pays à partir de la fin du 19e siècle, porte une écrasante responsabilité dans ce sous-développement. Dès 1892, la colonisation française entraîna l'éviction des paysans des meilleures terres, réservées dès lors aux colons français, et la bourgeoisie française s'empara de toutes les richesses, comme les mines de zinc et de phosphate.

Dans les années trente, Bourguiba, jeune avocat qui venait de finir des études de droit en France, durant lesquelles il avait fréquenté les mêmes écoles que bien d'autres politiciens français de la IVe République, créa son parti, le Néo-Destour, (parti de la constitution), parti bourgeois nationaliste. Dès les années 50, Bourguiba chercha un compromis "honorable" avec la France, sans succès dans un premier temps. Lorsqu'en 1954, Mendès-France reconnut à la Tunisie une autonomie interne, les dirigeants du Néo-Destour s'engouffrèrent dans cette brèche et déclarèrent qu'il s'agissait " d'une étape substantielle dans... la restauration de la souveraineté complète de la Tunisie ". De tractations secrètes sortit un gouvernement de transition comprenant des ministres néo-destour et des notables modérés. Il fut également décidé secrètement que Bourguiba devait obtenir la cessation des actions armées en Tunisie, ce que Bourguiba accepta. Finalement l'indépendance fut proclamée deux ans plus tard, le 20 mars 1956.

La guerre d'Algérie qui se développait au même moment incitait en effet les gouvernements français, incapables de faire face à une explosion dans tout le Maghreb, à accélérer la recherche d'une solution en Tunisie ainsi d'ailleurs qu'au Maroc.

Bourguiba gouverna ensuite pendant près de trente ans d'une main de fer, en essayant toujours d'apparaître comme l'arbitre national, dans un pays où les bidonvilles côtoyaient les hôtels de luxe pour touristes, et ce jusqu'aux émeutes des années 83-84 provoquées par le doublement du prix du pain. Peu après, Bourguiba fut évincé du pouvoir par un ancien directeur de la Sûreté, devenu ministre de l'Intérieur, puis ministre d'État, et enfin Premier ministre en 1987, Zine el Abidine Ben Ali. Ben Ali devint alors le nouvel " ami " des dirigeants impérialistes français, et le nouveau dictateur pour la population.

De Bourguiba à Ben Ali, restent les mêmes liens d'intérêt entre les trusts de l'ancienne puissance colonisatrice et la bourgeoisie du pays anciennement colonisé dont les difficultés découlent toujours de la " colonisation " économique qui, elle, n'a jamais disparu.

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