Auteuil, Neuilly, Passy, tel est leur ghetto10/03/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/03/une-1652.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Auteuil, Neuilly, Passy, tel est leur ghetto

Des maires de droite protestent par des pétitions parce que le gouvernement présente, par la voix notamment de Gayssot, un projet de loi baptisé " solidarité et renouvellement urbains " qui introduit une pénalité pour les communes situées en agglomération et disposant de moins de 20 % de logements locatifs sociaux.

Les représentants des beaux quartiers ne manquent pas de toupet pour défendre les bourgeois petits et grands qui trouvent tout à fait normal que des travailleurs leur construisent des logements confortables, leur fabriquent des voitures, leur confectionnent des repas servis au restaurant ou dans les avions, mais ne veulent surtout pas avoir " ces gens-là " dans leur voisinage.

Face à cette arrogance, le gouvernement se montre fort timide. En effet, si le projet de loi est adopté, le millier de communes urbaines qui disposent de moins de 20 % de logements sociaux devront redresser la barre... d'ici vingt ans. Leur seule obligation consistera à prévoir des plans de rattrapage de trois ans en trois ans pour parvenir à l'objectif final et à payer 1 000 francs chaque année par logement manquant, ce qui est dérisoire. Le coût de construction d'un logement, même réalisé à l'économie sous prétexte qu'il est social, est souvent supérieur aux pénalités encourues ; il les dépasse largement en centre-ville et encore plus si l'on compte les crèches, les écoles, les transports en commun, les équipements sportifs et culturels, bref s'il s'agit de construire autre chose que des cages à lapins plantées dans les champs. Il est vrai qu'une commune n'est pas forcée de prévoir l'ensemble de ces équipements...

Quant à l'obligation de construire les logements ou de transformer ceux qui existent en logements sociaux, ce n'en est pas vraiment une. Car la seule sanction prévue est que le préfet, constatant que rien ne change, puisse doubler la pénalité... à partir de 2005. En outre, il existe une échappatoire si la commune s'associe avec d'autres : elle versera alors sa pénalité dans un pot commun sans être tenue de construire les logements manquants sur son propre territoire.

Il y a donc lieu d'être perplexe sur l'efficacité d'une telle loi qui n'est d'ailleurs pas la première du genre. En 1991, un texte du nom de LOV (loi d'orientation sur la ville), affichait déjà les mêmes intentions et fixait un objectif de 18 % de logements sociaux, avec le succès que l'on voit.

Les plus cyniques des maires ont déjà menacé de ne pas jouer le jeu de la nouvelle loi. Eric Raoult, ancien ministre " chargé de l'intégration et de la lutte contre l'exclusion " du gouvernement Juppé, et actuel maire du Raincy, en Seine-Saint-Denis, où la proportion de logement social est de 4,60 %, en fait partie. Il a interpellé le gouvernement pour lui demander s'il cherche à ce qu'on en arrive à la situation des Etats-Unis, où des villes qui n'acceptent pas de payer ce genre de pénalités s'en vantent dans des documents publicitaires pour attirer les promoteurs et des gens fortunés ! Raoult aurait voulu prouver à quelles aberrations conduisent les lois du marché capitaliste qu'il ne s'y serait pas pris autrement : une partie de la population est privée de logement, ou vit à l'étroit, dans des conditions précaires, parce la programmation des constructions n'est pas faite en fonction des besoins à satisfaire, mais pour ceux qui peuvent payer. Et le fin du fin, c'est que les riches - ou ceux qui se considèrent comme tels - puissent se payer un petit supplément pour éloigner les pauvres.

Les logements dits sociaux servent à pallier, plus ou moins, l'incapacité de la société à satisfaire un besoin aussi important que le logement, mais ils ne peuvent pas apporter réellement de solution. Quand la misère s'aggrave du fait du chômage et de la précarité comme c'est le cas depuis des années, de plus en plus de gens ne peuvent même plus accéder aux HLM et doivent habiter ce qui est appelé officiellement le " logement social de fait ", en réalité souvent des logements privés de confort voire insalubres.

Si le gouvernement voulait trouver des solutions, il s'en prendrait au profit capitaliste qui engendre la misère, réquisitionnerait les logements vides existants et ferait construire directement par l'Etat des logements de qualité, dont on pourrait alors discuter valablement de la répartition dans les villes et sur tout le territoire.

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