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- Lutte ouvrière n°1650
- Il y a 35 ans : Février 1965 - l'assassinat du dirigeant noir américain Malcolm X
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Il y a 35 ans : Février 1965 - l'assassinat du dirigeant noir américain Malcolm X
Le 21 février 1965, lors d'une réunion publique tenue par le dirigeant noir américain Malcolm X, trois hommes déchargèrent à bout portant leurs armes sur l'orateur. Quelques jours auparavant déjà la maison de Malcolm X avait été attaquée. Malcom X en avait rendu responsables les " Musulmans Noirs ", l'organisation avec laquelle il avait rompu un an plus tôt.
Que Malcolm X fut éliminé par une des factions de ces " Musulmans noirs ", cela semble acquis aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, cet assassinat convenait parfaitement aux autorités américaines, pas mécontentes de voir ainsi disparaître celui qui apparaissait alors comme le plus intransigeant représentant de la révolte noire. En effet, pendant la période précédant son assassinat, Malcolm X était sous la surveillance des services américains, FBI et CIA. Ceux-ci, au courant des préparatifs du meurtre, ne firent rien pour l'arrêter.
Une enfance noire
Comme bien des Noirs américains, la jeunesse de Malcolm X fut marquée par la misère et la terreur raciste : son père, pasteur itinérant, soutenait le mouvement de Marcus Garvey qui, sous la bannière du retour à l'Afrique, fut le premier mouvement noir de masse. Il subit pressions et menaces des Blancs racistes du Ku Klux Klan avant d'être assassiné. Restée seule, sa mère se débrouilla un temps pour élever huit enfants mais perdit la raison.
A 13 ans, Malcolm fut envoyé dans une maison de redressement. A sa sortie, il était un petit caïd des ghettos noirs de Boston et de New York, trafiquant d'alcool et de drogue. Après un cambriolage, en 1946, il se retrouva en prison à 21 ans.
Devenir militant en prison
Il y fut recruté par les Musulmans Noirs, le mouvement nationaliste d'obédience islamiste d'Elijah Muhammad, lancé dans les années trente.Ce mouvement recrutait dans les couches les plus déshéritées du prolétariat noir, de la jeunesse des ghettos et dans les prisons où finissaient bien des jeunes.
La " Nation de l'Islam " proposait une réponse face à l'oppression des Noirs pauvres, en les invitant à mépriser ouvertement les Blancs, leur redonnait confiance en leur expliquant sa version de l'histoire des Noirs et plaidait pour une nation noire séparée. Elle intervenait aussi contre la consommation d'alcool, de drogue, la prostitution, toutes activités autodestructrices dont l'introduction est reprochée aux Blancs. Tout cela entendait rendre dignité et fierté aux Noirs déshérités.
La vie de Malcolm fut transformée par ce contact. Il fut aussi séduit par la tradition d'autodéfense des Musulmans Noirs. Partisans d'agir avec les racistes selon le principe " oeil pour oeil, dent pour dent ", ils avaient leur propre service d'ordre, les " Fruits de l'Islam ".
A sa sortie de prison, au printemps 1952, Malcolm devint un propagandiste actif de la " Nation de l'Islam " et prit le nom de Malcolm X. " X " évoquait le nom de famille africain inconnu des descendants d'esclaves.
La radicalisation des Noirs américains
Leur propagande séparatiste différenciait radicalement les " Musulmans Noirs " du mouvement des " droits civiques " qui prit de l'ampleur dans les Etats du Sud à partir de 1955 et cherchait à obtenir la fin de la ségrégation, dans les bus, les lieux publics ou les écoles. Les congrégations protestantes noires, dont Martin Luther King était le principal leader et qui dirigeaient ce mouvement, luttaient, elles, pour l'intégration des Noirs dans la société américaine. Pour y parvenir, elles prônaient la non-violence et la persuasion morale. A l'inverse, dans le Nord du pays, les " Fruits de l'Islam " apparaissaient plus radicaux, et dans les moyens, et dans les objectifs.
Le développement du mouvement antiségrégationniste se heurta à la violence de la répression de l'Etat américain. Cela créa un décalage entre les consignes non violentes de ses chefs et l'envie de riposter d'une partie du mouvement. A partir de 1963, les boycotts pacifiques furent relayés par les émeutes de la population noire qui, en quelques années, allaient secouer les plus grandes villes américaines.
D'autres revendications, d'autres leaders noirs, plus radicaux, apparurent. Malcolm X critiquait les leaders modérés, " oncles Tom modernes, utilisés par les blancs pour nous maintenir passifs, paisibles, non-violents ". Il critiquait aussi son propre mouvement : " Nous aurions intérêt à réviser notre politique de non-engagement (et nous) trouver [...] aux côtés des Noirs qui [...] s'engagent résolument dans la lutte ". Il finit par être exclu de la " Nation de l'Islam ". Les dirigeants des Mulsulmans Noirs entendaient ainsi couper les ailes d'un dirigeant qui avait pris beaucoup d'ascendant et le marginaliser. Ils confirmaient ainsi leur conformisme social et leur manque de volonté réelle de changer radicalement la société.
La recherche d'alliés
Malcolm X entreprit un pèlerinage à la Mecque. Il en profita pour rencontrer différents dirigeants des luttes d'indépendance en Afrique noire.
Il commença à considérer le combat de 22 millions de Noirs américains comme partie intégrante de celui des peuples colonisés. Il en vint à envisager des moyens de lutte utilisés dans les ex-colonies : accuser les Etats-Unis devant l'ONU, constituer des groupes armés pour intervenir contre la police ou les racistes, s'organiser sur des bases non religieuses. Ainsi naquit l'" Organisation de l'Unité Afro-Américaine ", un petit groupe qui ambitionnait de devenir un large front.
Cependant, comme les leaders du Tiers Monde dont il s'inspirait, il ne sortait pas du cadre du nationalisme. L'auto-contrôle de la communauté noire américaine restait son ultime but : " Une fois que vous serez les maîtres de l'économie de votre communauté, vous n'aurez plus besoin de participer à des piquets ou à des boycotts, ni de supplier un raciste du quartier des affaires de vous embaucher dans son entreprise ". Malcolm X n'eut guère le temps d'appliquer ses idées. Il fut assassiné peu après.
Ses idées inspirèrent le mouvement des " Panthères Noires ". Mais, en restant dans le cadre étroit du nationalisme noir, le mouvement noir ne pouvait s'élargir. Pour mettre un terme à sa radicalisation, l'Etat américain réprima durement sa fraction la plus militante, en même temps qu'il fit des concessions qui profitèrent principalement à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie noires. Quant aux " Musulmans Noirs ", ils connurent une crise interne dont Louis Farrakhan sut tirer bénéfice par la suite.
Dans les années soixante-dix, le mouvement noir aurait peut-être pu franchir une nouvelle étape s'il avait cherché à entraîner dans une lutte commune tous les exploités du pays, quelle que soit leur couleur de peau. Mais, pour cela, il aurait sans doute fallu aussi que le mouvement ouvrier donne des signes de radicalisation. Or il y avait bien longtemps que ses dirigeants avaient renoncé à défendre les aspirations de toute la population pauvre des Etats-Unis.