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Lire : En direct du couloir de la mort de Mumia Abu-Jamal
Les éditions La Découverte ont réédité en collection de poche un recueil d'articles de Mumia Abu-Jamal qui a réussi à les faire sortir de la prison de Huntingdon en Pennsylvanie où il est enfermé, condamné à mort, depuis dix-huit ans.
Mumia Abu-Jamal, qui a aujourd'hui près de 46 ans, était un reporter radio connu comme " la voix des sans-voix " et un militant qui s'était engagé, en 1968, dans le parti des Black Panthers (Panthères noires). Dans les années soixante-dix, Mumia avait publié de vigoureuses critiques des méthodes de la police de Philadelphie, ce qui lui avait valu son licenciement de la radio. Il travailla alors comme chauffeur de taxi jusqu'à la nuit du 9 décembre 1981, nuit au cours de laquelle il fut battu et blessé par balle par la police puis accusé du meurtre d'un policier blanc. À l'issue d'un procès truqué, conduit avec un parti pris évident, au cours duquel des témoins subirent pressions et chantages de la part de la police tandis que d'autres étaient écartés, dans lequel bien des faits ne furent pas vérifiés, le juge Sabo, célèbre pour avoir expédié plus de personnes dans le couloir de la mort que n'importe quel autre juge en activité aux Etats-Unis, prononça la peine de mort contre Mumia Abu-Jamal.
Mumia Abu-Jamal présente lui-même ses articles : " Dans ces pages, tu entendras d'autres voix, celle de l'Amérique noire, de l'Amérique de la révolte, de l'Amérique des cachots et de ses habitants assignés à l'enfer ". Il dénonce avec force la condition de la communauté noire, et en particulier de sa partie la plus pauvre. Il évoque la misère, la drogue, la répression, le racisme. Parmi d'autres, il rapporte cette histoire vraie d'une femme noire à qui la police interdit de rentrer chez elle après sa journée de travail au nom du " programme municipal de lutte contre les lieux de consommation de drogue " avant de détruire bel et bien sa maison. " On imagine mal le même degré d'insouciance destructive dans un quartier habité par une grand-mère blanche ", commente Mumia.
Mumia témoigne également de l'horreur qui règne dans l'univers carcéral, barbare et toujours plus peuplé. En 1999, les prisons des Etats-Unis renfermaient près de 1,9 million de détenus, hommes et femmes, soit plus que la population d'une ville comme Philadelphie ! 54 % de ces prisonniers étaient noirs (contre 35 % vingt ans plus tôt), alors que cette communauté ne représente que 13 % de la population américaine globale. En vingt-cinq ans, le nombre des incarcérations a été multiplié par quatre. " L'Amérique y montre son visage le plus rude. Et nulle part ce visage n'est aussi sinistre que dans les prisons : on y a transformé des êtres humains en non-êtres, en sujets numérotés entassés dans des boîtes de non-vie ".
Cet engrenage de la répression conduit à la multiplication de décisions toutes plus odieuses et inhumaines les unes que les autres. Par exemple, de nouvelles unités de contrôle disciplinaire, connues sous le nom de " supermax ", imposent aux prisonniers de passer vingt-deux heures et demie par jour dans des cellules de 7,5 mètres carrés, dans la solitude la plus totale. En 1989, l'exécution des attardés mentaux a été officiellement acceptée. Depuis 1994, une loi, associée au slogan " Trois coups et vous êtes éliminé ", stipule que des récidivistes condamnés à deux reprises sont passibles, lors d'une troisième comparution, d'une peine allant de vingt-cinq ans de prison à la perpétuité sans possibilité de libération sur parole. Une telle peine a été infligée, en Californie, à un jeune Noir ayant volé... une part de pizza.
Il faut lire ces témoignages de Mumia Abu-Jamal qui a conservé toute sa pugnacité dans la dénonciation des injustices qui frappent les opprimés et tout son courage, malgré le traitement ignoble que lui font endurer les autorités carcérales. Depuis dix-huit ans, il n'a cessé de clamer son innocence et de revendiquer la révision de son procès. Jusqu'à présent, les protestations et la mobilisation de dizaines de milliers de personnes aux Etats-Unis et ailleurs ont réussi à surseoir à l'exécution du jugement. Il reste que Mumia Abu-Jamal doit non seulement avoir la vie sauve mais également recouvrer sa liberté.
Ce livre ne peut que contribuer à renforcer l'indignation face à l'injustice subie et la solidarité à l'égard de son combat.
Annie ROLIN
En direct du couloir de la mort de Mumia Abu- Jamal, Editions La Découverte / Poche, Essais, 238 p., 56 F.