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- Lutte ouvrière n°1649
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Tribune de la minorité
Combattre l'extrême-droite c'est aussi combattre la droite... et la gauche
La réaction de l'extrême-droite à l'accession du parti de Haider au pouvoir ne s'est pas faite attendre. " Cela va servir la cause des droites nationales en Europe, dans chacun de leur pays, pour défendre les citoyens contre l'immigration, contre l'insécurité, le chômage, la corruption... " se plaît à croire Le Pen, approuvé dans ce sens par son frère ennemi Mégret. Et de fait, le risque est réel. Le précédent autrichien peut renforcer les idéologies racistes et xénophobes en Europe et permettre aux organisations qui s'en revendiquent de gagner du crédit. En France, l'extrême-droite même divisée et affaiblie sur le plan électoral, conserve une influence non négligeable dans l'opinion y compris ouvrière. Ici comme ailleurs, l'extrême-droite organisée constitue donc toujours une menace pour l'avenir. Elle attend son heure et s'y prépare.
L'événement en Autriche, c'est la sonnette d'alarme pour l'Europe entière. Car il y a de quoi être inquiet de voir un Haider accéder au pouvoir avec sa clique, lui qui se réclame de la politique du IIIe Reich contre le chômage. Mais la question est de savoir par quels moyens expulser ce dirigeant raciste et barrer la route à ses émules en Europe. Et celui qui se pose cette question ne peut nullement se sentir rassuré ni réconforté par la prétendue indignation exprimée par des politiciens de gauche et de droite lors de la constitution du nouveau gouvernement autrichien.
Indignation bien timide, si l'on en juge d'après les actes : les " sanctions " décidées par l'Union Européenne sont de nature purement diplomatique... de quoi faire trembler Haider ! Sans compter que ces " mesures " sont apparues excessives à certains partis de la droite traditionnelle flamande, allemande ou scandinave et même française, " soucieux de ne pas isoler l'Autriche ".
Qu'une partie de la droite européenne exprime même ouvertement sa solidarité vis-à-vis de l'extrême-droite autrichienne, quoi d'étonnant à cela ? En France, on a vu la droite passer dans trois régions des alliances avec l'extrême-droite pas plus tard qu'en 1998 pour gagner des élections régionales. Et c'est sans complexe que le président du Languedoc- Roussillon, membre de Démocratie Libérale, le parti de Madelin, vient d'afficher sa bienveillance à l'égard de Haider.
Mais ce n'est pas pour autant qu'il faudrait prendre pour argent comptant les gesticulations de la gauche française. La presse française s'est faite l'écho de la façon dont Martine Aubry, suivie de la ministre belge, a claqué la porte lors de l'intervention de son homologue autrichienne, membre du parti de Haider, au conseil des ministres européens des Affaires Sociales. Le tout accompagné de citations de l'écrivain Stefan Zweig sur les responsabilités de la conscience européenne face au fascisme. Toute cette mise en scène n'a d'autre objectif que de ressouder à peu de frais l'opinion de gauche autour de la gauche plurielle gouvernementale. C'est par ces petits gestes symboliques qui ne lui coûtent rien que la gauche espère faire oublier la partie de sa politique directement empruntée au programme de l'extrême-droite. Car c'est bien Chevènement, ministre de l'Intérieur d'un gouvernement " de gauche " qui demande à ses services de faire du chiffre pour expulser les sans-papiers que la gauche ne régularisera pas après leur en avoir fait miroiter l'espoir. La gauche continue de soutenir les dictateurs en Afrique et couvre la responsabilité de la France dans le génocide rwandais de 1994. Quant à Védrine, ministre des Affaires Etrangères, il a dernièrement rendu hommage au " patriotisme " de Poutine, le massacreur en chef russe de la population tchétchène.
Quand les élus de gauche ici en France dénoncent les alliances entre la droite et l'extrême droite, c'est alors bien plus la crainte de la concurrence électorale qui les anime que la volonté réelle de combattre le racisme. Et quand Aubry dénonce Haider, c'est surtout par opportunisme à l'égard de l'électorat de gauche.
Pour enrayer tout effet dopant de l'expérience autrichienne sur l'extrême-droite française, pour assurer son déclin et sa marginalisation, il ne s'agit pas de faire chorus avec cette gauche-là. D'autant que la gauche au gouvernement assume une politique d'austérité qui rejette une fraction croissante de la population ouvrière dans le chômage, la précarité et la pauvreté. C'est une politique tout à fait similaire que les gouvernements de gauche, puis de la coalition droite-gauche ont mené pendant des décennies en Autriche. Avec comme résultat la désaffection croissante des travailleurs envers le parti socialiste SPÖ, jusqu'à ce qu'une fraction des travailleurs finisse même par se laisser séduire par la démagogie d'un Haider.
L'expérience autrichienne démontre que la politique actuelle de la gauche peut préparer le terrain demain à un nouvel essor de l'extrême-droite. Voilà pourquoi il est décisif que la classe ouvrière tienne la gauche en échec sur cette politique. Cela suppose des luttes victorieuses contre les attaques coordonnées du patronat et du gouvernement. Et des luttes d'ensemble, donc à caractère politique, pour que les victimes de la crise sociale s'y reconnaissent et tournent leur espoir vers la force des travailleurs plutôt que vers des démagogues fascisants. A l'heure actuelle, les directions syndicales liées aux partis de la gauche pratiquent une stratégie d'émiettement des luttes. Combattre cette politique dans la classe ouvrière pour lui permettre de contrôler et de généraliser ses luttes, voilà l'enjeu immédiat. Le combat antifasciste passe aussi par là.