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Espagne : Vers l'union de la gauche... pour une politique de droite
En pleine précampagne pour les élections générales espagnoles du 12 mars, le Parti Socialiste (PSOE) et Izquierda Unida (IU), la coalition dirigée par le Parti Communiste (PCE), sont parvenus à un accord électoral. Cette alliance, qui prévoit la présentation de candidatures communes au Sénat, un programme commun de gouvernement et l'appui de IU à l'investiture du candidat du PSOE à la présidence du gouvernement, Almunia, pourrait conduire à la mise en place d'un gouvernement des partis de gauche.
Les deux partis se revendiquent de l'exemple de la gauche plurielle en France, dont la presse liée au PSOE fait l'éloge. Les uns et les autres vantent son unité, qui mettrait en échec la droite, et la " stabilité " sociale qu'elle favoriserait. Le journal El País du dimanche 6 février expliquait ainsi la formule de Jospin : " Exiger des communistes la fidélité, mais leur permettre de préserver leurs caractéristiques ".
Le pacte a été négocié par Joaquin Almunia pour le PSOE et Francisco Frutos pour IU, des dirigeants qui ont tous deux accédé récemment à la tête de leur formation. Almunia a remplacé Felipe Gonzalez au poste de secrétaire général du PSOE pendant l'été 1997, après que les socialistes eurent perdu le pouvoir. Il est apparu d'emblée comme le partisan d'une " maison commune de la gauche " autour du Parti Socialiste, s'adressant à IU et aux groupes rénovateurs dissidents. Homme d'appareil, il a dû, pour asseoir sa position à la tête de son parti, affronter la concurrence de Borrell, que des élections primaires avaient désigné comme éventuel candidat à la présidence du gouvernement en cas de succès électoral. Après des luttes internes, Borrell a laissé la place.
Quant à Frutos, il a été élu il y a environ un an secrétaire général du PCE à la place de Julio Anguita. Plus récemment, en raison d'une maladie grave de celui qui était encore le coordinateur général de IU, Frutos a été désigné comme candidat à la présidence pour IU, dont il est désormais le représentant. L'accord a permis à ces deux leaders d'apparaître comme les acteurs d'un tournant vers l'union de la gauche, se distinguant ainsi l'un et l'autre de leurs prédécesseurs et affermissant leur position dirigeante.
Qu'apporterait la gauche ?
Bien sûr, la reconduction d'un gouvernement de droite du Parti Populaire n'apporterait rien de positif aux travailleurs espagnols. Mais on se demande si un hypothétique gouvernement de la gauche leur sera plus favorable quand on se souvient des treize ans de gouvernement du PSOE, au cours desquels il a appliqué une dure politique antiouvrière : réforme du droit du travail, contrats précaires, reconversions industrielles sauvages et chômage massif pendant que les entreprises se faisaient un argent fou et que des affaires de corruption éclaboussaient les politiciens du PSOE.
Le PSOE a-t-il changé tout à coup, cessant d'être le parti de la corruption et de la collaboration avec les GAL (les commandos paramilitaires anti-ETA), que dénonçait IU jusqu'à il y a peu ? Ou s'agit-il de recréer de nouvelles illusions parmi les travailleurs pour revenir au gouvernement ?
De toute évidence, les désignations de candidatures et la répartition des sièges éventuels ont été l'enjeu des négociations, bien plus que la prise en compte des besoins de la population travailleuse. La polititique menée par le PSOE a déçu bien des travailleurs et entraîné une forte abstention parmi les électeurs de gauche. Le PSOE a bien besoin de récupérer des voix, entre autres celles de IU. Le PCE, lui, peut espérer maintenir sa présence dans les institutions et même devenir, grâce au PSOE, un parti de gouvernement.
IU s'aligne sur le PSOE
Un simple coup d'oeil sur le programme conclu entre le PSOE et IU suffit pour éliminer l'idée que le pacte avec le PSOE correspondrait à un virage à gauche de celui-ci. C'est tout le contraire. L'accord comporte la même politique, qui s'appelle aujourd'hui " plan de stabilité " et que mènent depuis des années les gouvernements de droite comme de gauche, et qui a conduit aux réductions de dépenses dans les services publics qui se sont dégradés, au gel des salaires, à la flexibilité, tandis que les entreprises bénéficient de subventions publiques nullement remises en cause dans l'accord, pas plus que le système fiscal qui favorise ouvertement les plus riches. Les privatisations seront maintenues, tout comme continueront de prospérer les agences de travail temporaire. Pourtant la suppression de l'une et l'autre étaient des revendications classiques de IU. Mais il s'agit maintenant de rassurer le patronat.
Si IU a évolué, c'est donc dans le sens d'un alignement sur le PS, en gommant par exemple ce qui dans son langage pourrait paraître différent. IU ne remet plus en question l'appartenance de l'Espagne à l'OTAN, son grand cheval de bataille dans le passé. La revendication d'une loi des 35 heures aussi, chère à IU, s'est transformée. IU demande l'adoption de mesures légales et réglementaires favorisant les 35 heures. En gros, c'est ce qui existe aujourd'hui et qui incite les patrons à mettre en place les 35 heures, en profitant de larges subventions.
Quant au minimum vieillesse qui oscille autour de 40 000 pesetas, on promet tout juste de l'élever un peu, mais sans aucun engagement formel, au niveau du salaire minimum (70 000 pesetas, soit 2 760 F). Le programme commun promet donc peu de choses aux plus démunis.
Un vrai changement pour les travailleurs ne pourra venir que d'une défense ferme de leurs intérêts de classe et les incite à reprendre confiance dans leurs propres moyens de lutte, dans leur combativité, seul moyen de freiner les attaques du patronat et de n'importe quel gouvernement.