L'ouverture du marché de l'électricité... aux profiteurs parasites28/01/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/01/une-1646.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

L'ouverture du marché de l'électricité... aux profiteurs parasites

L'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence, décidée au niveau européen depuis des années, est en train de se réaliser en France. Après plusieurs navettes, Chambre des députés-Sénat, le projet devrait être adopté début février.

En principe, quand tout sera complètement réalisé, n'importe quel client de l'Union européenne devrait pouvoir acheter du courant à n'importe quel fournisseur, de n'importe quel pays. Par exemple, un client espagnol et un producteur danois. En pratique on ne fera pas passer le courant par les lignes qui relient le Danemark à l'Espagne. C'est techniquement absurde.

Le client espagnol sera approvisionné comme d'habitude par des centrales électriques proches, espagnoles, voire françaises. Ensuite il y aura régularisation comptable avec le producteur danois, et des droits de péage fictifs - puisque l'électricité n'aura pas réellement transité - pour les réseaux entre le Danemark et l'Espagne, c'est-à-dire allemand et français.

Mais ce client espagnol devrait avoir le droit, au nom de la " libéralisation " du marché, d'acheter un jour à un producteur et le lendemain à un autre, britannique par exemple. Et pour cela il existe déjà des autorités de régulation, des " pools ", comme le Nordpool scandinave (lancé en 1992) qui regroupe la Norvège, la Suède, la Finlande, et l'Ouest (pour le moment) du Danemark. Il existe aussi des bourses comme l'Amsterdam Power Exchange au Pays-Bas depuis 1998, un marché à Francfort, un en Espagne...

Il existe également un pool britannique dont EDF est un membre fondateur puisque la société nationale française a acheté des entreprises électriques britanniques !

Comme l'écrit La Vie électrique, revue de l'EDF : " De même qu'une cargaison de coton peut être vendue et achetée des dizaines de fois, un kilowattheure pourra faire l'objet d'une cascade de transactions ". Ce sont les beautés de l'économie de marché.

Les compagnies vendeuses ne sont pas nécessairement productrices. C'est le cas de London Electricity, la compagnie anglaise achetée par EDF, qui ne produit pas un seul kilowattheure, mais qui en achète et qui en revend. C'est une société de distribution. A côté il existe des sociétés de négoce, les traders, ainsi que des brokers chargés, eux, de mettre en relation acheteurs et vendeurs.

Voici la description du système qui se met en place, toujours selon La Vie électrique : " Plusieurs centaines de producteurs d'électricité vendront leur production sur une vaste bourse du kilowattheure ou directement aux grands clients industriels, sous forme de contrats bilatéraux. Parallèlement, de plus en plus d'intervenants achèteront cette énergie dans le seul but de faire du commerce pur, c'est-à-dire pour la revendre avec une plus-value. " Voilà qui est clair !

A côté des contrats à terme (80 % des échanges), il existe dans le Nordpool, par exemple, un marché " spot ", c'est-à-dire au comptant, où " les prix, déterminés chaque heure, sont fixés la veille pour un achat ou une vente effectuée le lendemain " (La Vie Électrique). Ce n'est d'ailleurs pas le seul marché spot qui fonctionne en Europe.

Tous les pays d'Europe ne sont pas aussi libéralisés que ceux de la Scandinavie ou la Grande-Bretagne. Certains dont la France, n'appliquent la directive européenne qu'à minima, c'est-à-dire, avec une ouverture limitée pour le moment aux très gros consommateurs (environ 30 % de la consommation totale) - les consommateurs ordinaires ne sont donc pas concernés - et avec des pouvoirs très limités pour le trading.

N'empêche qu'EDF vient de constituer, en juillet dernier, en association avec le " négociant international " Louis Dreyfus, sa propre société de négoce : EDF T, détenue à 67 % par EDF et 33 % par Louis Dreyfus. Cette filiale devrait comprendre une centaine de personnes réparties entre Londres et Paris.

Et de toute façon, EDF qui a acheté à tour de bras des sociétés électriques en Scandinavie, Europe centrale, Grande-Bretagne (et aussi en Amérique latine) est particulièrement au fait de ce genre d'opérations de trading.

Ajoutons que pour EDF, selon son PDG Roussely, " l'objectif pour 2003-2005 est que la moitié de notre chiffre d'affaires soit faite hors de France et hors électricité ". Si cet objectif se réalise, et si EDF est toujours une société nationale à ce moment-là, on en arriverait à cette situation paradoxale d'une société publique française constituée pour moitié de son chiffre d'affaires de sociétés privées étrangères !

En Europe, presque tous les producteurs d'électricité sont devenus privés, la plus grosse exception, de très loin, est EDF. Les prix ont parfois baissé (Allemagne), parfois augmenté (Grande-Bretagne pour les clients particuliers). L'Union européenne n'impose pas la privatisation (celle d'EDF notamment) mais il est évident que le vent souffle dans ce sens. Et bien des intérêts privés français, ou étrangers, souhaitent une ouverture du capital d'EDF, pour commencer, afin de profiter surtout de la manne que représentent... les sociétés étrangères aux mains d'EDF, les plus profitables semble-t-il.

On voit, à l'échelle de l'Europe, que l'ouverture à la concurrence aboutit surtout à une complexité inutile et à la création de sociétés de trading, complets parasites de la commercialisation de l'électricité.

Quant à la " transposition " de la directive européenne à la France, même si elle reste pour le moment limitée, et n'aura pas de conséquences pour les usagers ordinaires, elle est inquiétante. La cuisine électrique qui se mijote n'annonce rien de bon.

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