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Côte-d'Ivoire : Un nouveau pouvoir dont il n'y a pas grand-chose à espérer
Sur place, en Côte-d'Ivoire, personne n'a versé de larmes sur le sort fait à Bédié par les militaires putschistes. A Abidjan, la capitale économique du pays, la population a même laissé exploser sa joie, les plus pauvres profitant de la situation pour piller un grand nombre de magasins, et plus particulièrement ceux appartenant à la bourgeoisie commerçante d'origine libanaise. Le régime de Bédié était devenu tellement parasitaire et corrompu qu'y compris parmi les couches privilégiées, nombreux sont ceux qui ont vu d'un bon oeil son renversement. D'autant que le nouvel homme fort du pays, le général Gueï a rapidement rétabli l'ordre.
Quant à la junte militaire, après avoir libéré les militants politiques emprisonnés et annulé les poursuites engagées contre le principal opposant Allasane Ouattara, permettant ainsi son retour au pays, elle a commencé ses consultations pour former un gouvernement de transition et de " large consensus ". Les deux principaux partis d'opposition, le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, parti vaguement de gauche et proche du PS français, et le Rassemblement des Républicains (RDR) d'Allasane Ouattara, formation issue du PDCI ex-parti unique, se sont d'ailleurs précipités pour répondre aux avances du général Gueï.
Critiquant les moeurs de l'ancien régime, ce dernier a dénoncé tout autant les détournements de fonds publics que les entraves mises à la vie politique, notamment le découpage électoral conçu pour donner de nombreux députés aux régions favorables au clan Bédié et peu d'élus aux fiefs de l'opposition. Le général Gueï, originaire d'une ethnie minoritaire de l'Ouest, s'est également attiré des sympathies en stigmatisant la politique xénophobe et ethniste menée par Bédié, originaire comme Houphouët-Boigny de l'ethnie baoulé.
Il est vrai que l'écoeurante campagne, visant à opposer les Ivoiriens aux " allogènes ", et à dresser les populations du Sud, majoritairement acquises à Bédié, contre celles du Centre et du Nord, plutôt favorables à Gbagbo et Ouattara, s'était intensifiée à l'approche des élections présidentielles. Et dans ce pays qui compte plus d'un tiers d'étrangers, venus principalement du Burkina-Faso, du Mali et du Ghana voisins, et qui regroupe plus d'une soixantaine d'ethnies, cette politique faisait de plus en plus peser la menace d'un bain de sang. Les affrontements qui ont récemment opposé des chasseurs kroumen à des paysans burkinabé, dans la région de Tabou, à propos d'un différent foncier, en témoignent. Et ce danger est d'autant plus grand, qu'aux tensions ethniques s'ajoutent les tensions liées à la crise économique, au chômage et à la misère croissante de la population.
Cela étant, si les possédants ont de bonnes raisons de se réjouir des promesses de réformes et d'assainissements de Gueï, les populations pauvres auraient tort de les suivre. Ce général, ex-chef d'état-major d'Houphouët-Boigny au début des années 90, n'a rien renié de son passé au cours duquel il s'est plusieurs fois illustré dans la répression des mouvements de contestation, notamment contre les étudiants. Et elle n'a rien de plus à espérer des politiciens qui, derrière les militaires, peuvent guetter le moment d'accéder à leur tour à la mangeoire.