Argentine : Le parlement, refuge d'un général tortionnaire24/12/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/12/une-1641.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Le parlement, refuge d'un général tortionnaire

Il y a quelques semaines, le juge espagnol Garzon, déjà à l'origine des poursuites qui ont bloqué le dictateur Pinochet en Grande-Bretagne, récidivait et inculpait pas moins de 98 officiers argentins, tous impliqués dans la dictature qui a pesé sur la population entre 1976 et 1983.

Parmi ceux-ci, on trouve le général Domingo Bussi qui depuis la dictature s'était reconverti dans la politique politicienne et siègeait tranquillement au Parlement argentin avant que son passé ne le rattrape. Le 1er décembre, une organisation de défense des droits de l'Homme, appuyée par une cinquantaine de députés, a demandé la destitution de cet ex-général pour " inaptitude morale ". Il n'a pas été destitué mais ne peut plus siéger pour le moment. Une commission parlementaire a ouvert une enquête et dira s'il est autorisé à siéger comme député ou pas.

Responsable militaire dans la région de San Miguel de Tucuman (nord-ouest du pays), puis gouverneur de la province de Tucuman, il était chargé de réprimer les guérilleros de l'ERP (Armée révolutionnaire du peuple dont les principaux dirigeants, notamment Santucho, ont été assassinés ces années-là). Pour mettre hors de combat la quarantaine de guérilleros de son secteur, il fit disparaître pas moins de sept cents personnes.

Le tribunal argentin qui enquête actuellement sur les enlèvements d'enfants pendant la période de la dictature accumule également des témoignages accablants contre Bussi. Il existait dans sa région un centre clandestin de détenues. Selon le témoignage d'un gendarme, le général aurait ordonné qu'une prisonnière enceinte soit exécutée après son accouchement et que son enfant soit adopté.

Ce général ne dédaignait pas mettre lui-même la main à la pâte. Il est connu pour avoir torturé et mis à mort de ses propres mains plusieurs prisonniers. Ces multiples crimes n'ont pas empêché qu'il bénéficie des différentes lois d'amnistie que les régimes qui ont suivi la dictature, aussi bien sous la présidence du radical Alfonsin que sous celle du péroniste Menem, ont forgées pour préserver l'armée et ses principaux cadres.

Protégé par l'amnistie destinée à " ceux ayant obéi aux ordres ", ce qui pour un cadre de l'armée de son niveau ressemble à une farce douteuse, le général tortionnaire a troqué l'uniforme pour un costume de député. Il s'est fait élire en 1993 et a même retrouvé sa place de gouverneur de Tucuman en 1995.

En 1998, il a été poursuivi par la justice au sujet de ses biens. On a ainsi appris que ce propriétaire d'une quinzaine de très luxueux appartements était par ailleurs titulaire de comptes en Suisse, dont il avait dissimulé l'existence dans la précédente législature. Il se serait enrichi en dépouillant certains " disparus " pendant la dictature.

Mais le fait d'avoir été un des membres très actifs de la junte au pouvoir à l'époque lui assure aujourd'hui encore des appuis puissants. Et, jusqu'à présent, ceux-ci lui ont toujours permis d'échapper aux poursuites judiciaires.

L'ombre de la dictature argentine, qui a causé la disparition de quelque 30 000 personnes, militants de la gauche ou du mouvement ouvrier pour la plus grande part, n'a décidément pas fini de planer sur la vie politique argentine et rappelle que la fin de la dictature en 1983 n'a pas été synonyme de fin des dictateurs.

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