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Russie : Tragi-comédie électorale
En Russie, à la veille du scrutin législatif du 19 décembre, les sondages donnaient le KPRF (le parti communiste dirigé par Ziouganov) en tête avec 25 % d'intentions de vote, suivi, avec 16 à 18 %, par le bloc électoral " Unité " (appelé aussi " L'Ours ") que patronnent le Premier ministre Poutine et Choïgou, le ministre aux Situations d'urgence. Le bloc OVR (" La Patrie-Toute la Russie ") du maire de Moscou, Loujkov, et de l'ancien Premier ministre Primakov recueillerait un peu moins.
Si ces pronostics se confirment dans les urnes, le pouvoir aura atteint son objectif : éviter que la victoire du tandem Primakov-Loujkov le place en position d'emporter la présidentielle en juin 2000 et ainsi d'écarter du Kremlin la " Famille ", c'est-à-dire le clan Eltsine.
Maintenant qu'il ne redoute plus une déroute de ses candidats, qui aurait mal auguré du résultat du scrutin présidentiel, le pouvoir semble s'inquiéter du taux d'abstention. Sur les murs, dans les médias, sont apparus des appels de la Commission électorale centrale : " Le 19 décembre, votez ! " Et pour cause !
Si la campagne électorale est passée dans la quasi-indifférence générale, cela ne tient pas au seul fait que l'opposition de sa majesté le " tsar " Eltsine et les partis des chefs de clan de la bureaucratie avaient choisi de taire leurs anciennes critiques à l'encontre du Kremlin afin de ne pas le gêner dans la guerre en cours. C'est aussi que ceux qui, parmi la population, suivaient cette campagne, avaient de quoi être écoeurés. Après le déballage d'" avant-guerre " sur les turpitudes du clan Eltsine, vint le tour du pouvoir de répliquer en sortant des " affaires " tout aussi peu ragoûtantes contre le tandem Loujkov-Primakov. Ce n'était guère difficile : le Kremlin contrôle la plupart des médias, et les ténors de l'opposition, à commencer par Loujkov, ne sont pas moins corrompus que leurs rivaux.
Et puis, les retransmissions télévisées des auditions de la commission d'enregistrement des candidatures donnaient la nausée quand on voyait des truands notoires s'y présenter, tel " Mikhas ", un des parrains de la mafia russe arrêté par la justice suisse, et s'en vantant, mais relaxé parce qu'il a réussi à éliminer ou à acheter tous les témoins.
" Mikhas " n'est pas seul de son cas : la plupart des seize blocs en compétition ont fourni un abri, rémunéré, à de pareilles gens. C'est qu'un poste de député russe offre bien des avantages, à commencer par une immunité judiciaire pour toute la mandature, des revenus plus que confortables, un logement de fonction, le droit de résider à Moscou, etc. De la vénalité, sinon du caractère criminel de nombre de sortants et de candidats, la population est convaincue depuis longtemps. Et elle n'a guère d'illusions sur les " programmes " qu'ils sont censés défendre : bien que dirigée par les " communistes " et leurs alliés d'opposition, la Douma n'a jamais vraiment contré Eltsine. Par crainte d'une dissolution qui aurait privé les députés de leurs privilèges, elle a avalisé tous les coups tordus du pouvoir, y compris quand elle clamait les refuser. Dernière déculottade publique de sa part : elle qui, en mai, menaçait de destituer Eltsine pour avoir lancé la guerre de Tchétchénie en 1994, approuve avec enthousiasme celle d'aujourd'hui.
Comment la population prendrait-elle au sérieux une élection, ou plutôt une bagarre de politiciens-voyous, par laquelle elle a quelques raisons de ne pas se sentir concernée ? Ceux qui sont au pouvoir, elle les vomit, voyant en eux les responsables de son appauvrissement, des gangsters qui appartiennent au monde doré des " nouveaux riches ", situé à des années-lumière de celui des simples citoyens. Même ceux des candidats qui prétendent combattre le pouvoir ne sont guère convaincants.
Aucun, en tout cas, même ceux des partis dits communiste ou socialiste, n'a même fait semblant de s'adresser à la population laborieuse en tant que telle. Ils préfèrent escompter que, par haine du pouvoir, les travailleurs sans salaires, les retraités ne touchant une pension de misère qu'avec retard, voteront pour eux. C'est ce qui explique que le KPRF est crédité de près d'un quart des suffrages. Par défaut, en quelque sorte, car, dans ce scrutin aucun des blocs électoraux en compétition ne peut prétendre représenter, ni de près, ni de loin, les intérêts ou même les préoccupations du monde du travail et des petites gens de Russie. Et parmi ces derniers, sans doute, nombreux sont ceux qui ne se déplaceront pas pour aller voter, ou encore qui voteront " contre tous ", une option que permet la loi électorale russe.