Russie : La population tchétchène écrasée sous les bombes17/12/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/12/une-1640.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : La population tchétchène écrasée sous les bombes

Grozny, la capitale de la Tchétchénie, tombera-t-elle avant le 19 décembre, jour d'élections dans toute la Russie ?

Cela n'aurait rien d'impossible, soumise qu'elle est, depuis trois mois, au feu ininterrompu d'une armée russe qui a fini de l'encercler et dont l'état-major répète que sa chute " est l'affaire d'une semaine ". Cela serait surtout un " argument " électoral massue pour des dirigeants du Kremlin qui ont - ce dont plus grand monde ne doute - déclenché cette seconde guerre de Tchétchénie précisément afin de ne pas subir une défaite cuisante à ces législatives.

Donnés battus à plate couture, les candidats du Kremlin ont, depuis le début de la guerre, gagné des points dans les sondages électoraux. Le bloc soutenu par le Premier ministre Poutine arriverait ainsi en seconde position : il n'en espérait sans doute pas tant, il y a quatre mois, quand il fut nommé à ce poste, tant tout ce qui touchait de près ou de loin au clan Eltsine était déconsidéré auprès de la population.

Le leurre guerrier

Depuis, évidemment, ni la situation économique et sociale de la population russe ni l'opinion qu'elle a de Eltsine et de son régime ne se sont améliorées. Mais cette guerre a été utilisée par le pouvoir pour tenter d'enchaîner cette population à son char.

On lui a demandé de croire que tous ses malheurs provenaient des seuls " terroristes ", vocable par lequel le pouvoir désigne non seulement les chefs des bandes armées mafio-indépendantistes tchétchènes, mais plus généralement l'ensemble des Tchétchènes.

La campagne électorale aurait pu permettre de dénoncer ce mensonge sanglant. Mais il ne s'est trouvé nul parti pour le faire, et encore moins pour affirmer que les véritables ennemis de la population sont au pouvoir, au Kremlin bien sûr, mais aussi à la tête des régions, des grandes villes, des entreprises, bref de ces milliers de fiefs que la bureaucratie contrôle et à partir desquels elle rançonne le pays et ceux qui y vivent. Au contraire, ces partis, qu'ils se présentent comme d'opposition ou qu'ils soient liés au Kremlin, se sont tous ralliés à ce dernier dans cette guerre.

Poutine avait beau jeu, il y a peu, d'affirmer que " tous les partis sans exception soutiennent les opérations du gouvernement ". Cela, ils le font par nationalisme, c'est-à-dire par souci de défendre les intérêts de l'ensemble de la bureaucratie en cherchant à détourner d'elle l'attention - et qui sait ? les coups à venir - de la population laborieuse.

La population prise en otage...

Face à cette préoccupation des dirigeants de la bureaucratie, que pèse la vie des Tchétchènes survivant sans eau, ni gaz ni électricité, dans les caves de Grozny en ruines ? Peu leur importe que leur soldatesque pille systématiquement les villages occupés et rançonne les pauvres gens ayant tout perdu et tentant de fuir pour s'entasser dans des camps de réfugiés : c'est un pourboire que le pouvoir laisse prélever aux soldats et officiers du rang, tandis que la haute hiérarchie, tout comme en 1994-1996 lors de la première guerre de Tchétchénie, trouve dans celle-ci des occasions d'une tout autre grandeur de s'enrichir.

Le Kremlin peut ravager la Tchétchénie, massacrer des civils sans défense, cela devrait lui permettre de passer sans trop de dommages le cap des législatives et de conforter la position de son candidat à l'élection présidentielle de juin prochain. Et ce ne sont pas les puissances dites démocratiques d'Occident qui y trouveront à redire, elles qui ont mené bien d'autres sales guerres sur la planète entière, commis bien plus encore de massacres pour leur propre compte et qui ont, depuis des années, accordé un soutien sans faille au clan Eltsine.

... avec la complicité de l'Occident

Elles ont, il est vrai, fini par élever un peu la voix ces jours-ci, après avoir laissé Moscou mener sa sale guerre sans dire un mot pendant plus de trois mois.

Clinton a jugé " inadmissibles " les agissements de l'armée russe, mais il a précisé aussitôt n'envisager aucune sanction. Même comédie du côté des dirigeants de l'Union européenne. Réunis à Helsinki, à une centaine de kilomètres de la frontière russe, ils ne pouvaient faire moins qu'avoir l'air de ne pas approuver... tout en faisant savoir qu'ils laisseraient faire au moment même où ils discutaient de l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne, pays qu'ils arment et dont ils couvrent, depuis des années, le régime répressif et les exactions contre la population kurde.

Les " dommages collatéraux " - comme disaient les généraux de l'OTAN quand ils écrasaient sous leurs bombes les populations civiles d'Irak et de Serbie -, les puissances impérialistes connaissent ! Et quand l'Union européenne adopte une résolution engageant la Russie à " ouvrir sans délai une négociation politique avec les autorités tchétchènes élues ", elle ne prend guère de risques. Le président tchétchène Maskhadov le demande depuis des semaines et le Premier ministre russe Poutine aussi... mais pas avant la reddition de Grozny.

Des milliers de morts, des centaines de milliers de réfugiés, des villes et villages en cendres, une économie tchétchène anéantie, sans parler d'une guerre de guérilla qui n'a pas encore commencé, mais que l'on peut prévoir et dont la population locale, comme les simples soldats russes, n'a pas fini de faire les frais... Elections obligent, la " démocratie " n'a pas de prix, pourraient dire ces dirigeants occidentaux qui encensaient, il y a peu encore, Eltsine, en le présentant comme le père de la démocratie en Russie.

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