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Leur société
Emplois-jeunes... et après
Martine Aubry a réuni les 10 et 11 décembre à Lille 1200 emplois-jeunes. Deux ans après leur création, il s'agissait pour elle de faire mousser cette mesure qualifiée de sociale. Mais ce qui a été surtout manifeste, c'est l'inquiétude des jeunes en question sur ce qui allait leur arriver à l'issue de leurs cinq ans de contrat.
Et il y a de quoi, les promesses de Martine Aubry en la matière ressemblant surtout à des faux-fuyants. Car que veut dire de concret la " nécessité de pérenniser ces nouveaux services " dont elle parle ? Des services à rendre, les jeunes ont rapidement pu se rendre compte qu'il y en avait dans tous les secteurs où ils étaient embauchés, que ce soit à l'Education nationale, dans les mairies, les transports en commun ou les associations. Bien souvent ils n'avaient d'ailleurs rien de bien nouveau, mais résultaient simplement des réductions d'effectifs des années précédentes. Mais tout aussi rapidement ils ont pu vérifier l'obstination de l'Etat à refuser toute embauche nouvelle durable. Ils ont même été, pour ainsi dire, aux premières loges pour s'en rendre compte, puisqu'on leur a généralement demandé de jouer les bouche-trou pour pallier le manque d'effectif titulaire, faisant ici le travail d'une secrétaire dans un établissement scolaire, là celui d'un agent de cantine dans une municipalité.
Il est aisé de comprendre leur inquiétude d'être rejetés dans le lot commun des jeunes à la recherche d'un emploi dans quelques années, avec en prime un peu de bla-bla du genre " validation des acquis " et " bilan de compétence ", dont a parlé Martine Aubry.
En fait, si le gouvernement avait voulu offrir un emploi durable à ces jeunes, il eut été plus simple et plus convaincant de commencer dès le départ par leur offrir un poste de titulaire. Il n'y avait que l'embarras du choix dans les services publics où ceux-ci font cruellement défaut. En octobre 1997, lorsque Martine Aubry annonça la création de 700 000 emplois-jeunes, moitié dans le privé et moitié dans le secteur public, payés à 80 % par l'Etat, il s'agissait avant tout de dégonfler les chiffres du chômage. Les 350 000 du privé ne virent jamais le jour, et dans le secteur public le gouvernement dit n'en avoir recruté que 211 000. Après les cinq ans de leur contrat, rien de sérieux n'était prévu, sauf peut- être l'embauche d'une nouvelle vague d'emplois-jeunes, les premiers étant censés avoir trouvé du travail par on ne sait quel miracle. Tirer des traites avec des emplois qu'on n'a pas, c'est, dans le domaine du chômage, l'équivalent de la " cavalerie " dans le domaine financier. Et aujourd'hui le gouvernement, prisonnier de son propre baratin, se préoccupe surtout de savoir par quel nouveau tour de passe-passe il va bien pouvoir s'en sortir.
Daniel MESCLA
Dans un article publié dans Le Monde du 11 décembre dernier, Ernest-Antoine Seillière, président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), nous sert l'éternelle antienne d'un patronat, victime de l'Etat omniprésent qui soi-disant " tue le social " (tel est le titre de son article).
Ecrit d'une plume teintée de fausse indignation (mais chargée de vraie hypocrisie), le patron des patrons réécrit l'histoire de ces cinquante dernières années. " Les entreprises françaises " seraient, à en croire le baron Seillière, " à l'origine des dispositifs sociaux existants : assurance maladie, assurance vieillesse, allocations familiales ".
Bien connus pour leur philanthropie légendaire, " les entrepreneurs (ne parlons plus de patrons, cela fait mauvais genre) ont toujours été concernés par la couverture des risques de l'existence des salariés ; ils y ont consacré de très importantes ressources financières et humaines " ajoute-t-il sans rire.
Plans sociaux et charrettes de licenciements, surexploitation et flexibilité des salariés, hausse du chômage et misère des classes populaires n'existent donc pas dans le monde à l'eau de rose qu'il nous brosse à grands traits.
Selon Seillière, le CNPF (l'ancêtre du MEDEF) aurait été en son temps le champion du " dialogue social " (quelques grèves ont tout de même contribué à lui déboucher les oreilles !) mais comme aujourd'hui le monde change (" Nous ne sommes plus en 1936 " affirme-t-il), il faut remettre tout cela en cause. Et ce d'autant que le gouvernement " s'obstine dans son oeuvre de nationalisation du dialogue social et d'étatisation de la protection sociale ".
En clair, selon le patron des patrons, cela signifie que les dépenses publiques et sociales sont trop élevées et qu'il faudrait les réduire. D'où sa politique de chantage à l'égard du gouvernement en affirmant que " les partenaires sociaux (les patrons) n'ont plus leur place dans les organismes paritaires ".
Aujourd'hui, le patronat cherche à remettre en cause la protection sociale et à se désengager financièrement des organismes paritaires sociaux. Il désire ainsi avoir les mains libres pour exploiter à sa guise, sans contraintes étatiques, une classe ouvrière qu'il aimerait taillable et corvéable à merci.
Pour justifier sa politique, Seillière n'hésite pas à prétendre avec cynisme, prétextant que si la généralisation de la protection sociale à l'ensemble de la population n'a pu empêcher le développement de la misère, que cette protection n'est pas très efficace... et donc inutile. CQFD ! Comme si la misère tombait du ciel et n'était pas le fruit de la guerre économique que mènent le patronat et les gouvernements contre les classes populaires depuis des décennies.