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Dans le monde
Croatie - Tudjman : Du stalinisme au nationalisme d'extrême droite
A l'occasion de la mort de Franjo Tudjman, force est aujourd'hui à la plupart des commentateurs d'admettre que son régime était autoritaire, pour le moins peu démocratique. Mais, après son accession au pouvoir en Croatie lors des élections de 1990, l'Occident a salué Tudjman pendant longtemps comme un grand démocrate parce qu'il avait été opposé à Tito, qu'il se disait partisan de l'économie de marché et se répandait en invectives contre le " communisme ".
Et, aujourd'hui, il est encore salué comme " père de l'indépendance " croate, sans que ce que cette " indépendance " a pu signifier comme barbarie, comme massacres, comme régression, soit guère évoqué.
Son homologue nationaliste en Serbie, Milosevic, a cessé d'être considéré comme persona grata, comme interlocuteur acceptable par les dirigeants impérialistes, mais Tudjman bénéficie depuis le début d'une position différente auprès des Occidentaux, des Américains comme des Européens.
Pourtant, foncièrement, ces hommes et leurs politiques sont du même acabit. Ils ont exploité des camelotes nationalistes symétriques, au besoin ravivées délibérément, pour parvenir au pouvoir - eux-mêmes, leur famille et leur clan - et accéder aux richesses et privilèges qu'il peut procurer. Pour cela, ils ont lâché leurs chiens de guerre contre les peuples. Aujourd'hui, le désastre est là, dans toute l'ex-Yougoslavie, sans qu'on n'en voie la fin.
Tudjman était un ancien général de Tito pendant la Seconde Guerre mondiale, membre ensuite du ministère fédéral de la Défense et de l'état-major de l'armée nationale yougoslave. Il fut exclu du parti titiste à la fin des années 1960, puis emprisonné pendant quelques années pour " déviation nationaliste " - ce qui lui assura un capital politique lorsque, dans les années 1970 et surtout 1980, la Fédération yougoslave laissée par Tito entra en crise, et que les aspirations à s'en désolidariser se manifestèrent de plus en plus au sein des couches privilégiées dans les différentes républiques constitutives, jusqu'à dominer la scène politique en Croatie (comme en Slovénie, d'ailleurs).
Démagogie nationaliste
En 1990, Tudjman gagna les élections en faisant trois promesses : un salaire moyen de 2000 marks allemands, la privatisation des entreprises, et l'indépendance de la Croatie. Comme il n'était évidemment pas question d'assurer un tel salaire moyen, et que la privatisation de l'économie est une tout autre affaire, une fois élu il offrit à la population le thème de l'indépendance et la démagogie nationaliste croate. Il entraîna la petite république dans la course à l'indépendance, donc à la dislocation de la Yougoslavie. Sa Constitution décidait, de façon provocatrice, que la Croatie serait " l'Etat des seuls Croates " alors même que sur son territoire vivaient des minorités non-croates importantes, serbes en particulier, depuis bien longtemps. " Un général ne recule jamais ! ", aurait paraît-il dit Tudjman, et en effet, il n'hésita pas un jour à se déclarer heureux que sa femme ne soit " ni juive ni serbe "...
Les parlements croate et slovène proclamèrent l'indépendance le 25 juin 1991, dans un grand déploiement de symboles nationalistes : armées " locales ", postes-frontières, changement de noms des rues et des places (à Zagreb, la place dédiée jusque-là aux victimes de la résistance antifasciste fut rebaptisée du nom d'un nationaliste croate du XIXe siècle). La Croatie a repris un drapeau qui rappelle celui du régime pro-nazi de l'oustachi Pavelic. Tout comme dans la Serbie de Milosevic, la télévision du régime fut placée au service d'une propagande de haine, remuant les souvenirs des massacres commis au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Tudjman-Milosevic, une logique commune
Le parti de Tudjman, le HDZ (Communauté démocratique croate), se voulait le " parti le plus croate ". D'emblée, il ne pouvait qu'inquiéter la minorité serbe de Croatie quant à ce que pourrait être le respect de ses droits dans une Croatie indépendante.
Le nationalisme de Tudjman alimenta ainsi les arguments nationalistes de Milosevic, et vice versa.
La logique de la " Grande Croatie " comme de la " Grande Serbie ", c'est celle de la " purification ethnique ", du " nettoyage " de la population serbe de la Krajina croate, et c'était aussi celle du dépeçage de la république de Bosnie-Herzégovine. Sur le plan du rapport des forces militaires, les nationalistes croates ne se trouvaient pas à égalité avec les nationalistes serbes, mais leur politique a été la même. Des rencontres concrètes ont eu lieu dès 1991 entre Milosevic et Tudjman pour envisager le partage de la Bosnie, ainsi que cela a été établi depuis. Et il se trouva des petits chefs croates pour proclamer, sous la tutelle de Tudjman, immédiatement, un mini-Etat croate, l'" Herceg-Bosna ", dans la région de l'Herzégovine occidentale, c'est-à-dire pour se tailler leur fief, tout comme le faisaient les Serbes de Bosnie de leur côté.
Aujourd'hui, en principe, cette entité croate d'Herzégovine fait partie de la " fédération croato-musulmane " qui, à côté de la " république serbe de Bosnie ", est supposée constituer une Bosnie unitaire ! Dans la réalité, cette entité croate a tous les attributs d'un mini-Etat " indépendant ", étroitement lié à Zagreb et non à Sarajevo. D'ailleurs, ces Croates d'Herzégovine élisent leurs députés au Parlement de Zagreb, et ils constituent une base pour les pires ultra-nationalistes.
A vrai dire, au cours des dernières années, le HDZ, parti officiel, a commencé à se discréditer. L'absence des libertés publiques, la mainmise sur les médias, surtout la corruption et les scandales, l'appropriation des entreprises privatisées par les clans liés au pouvoir, les difficultés économiques, la pauvreté, le chômage, tout cela pèse lourdement sur la population.
La période qui s'annonce, avec son calendrier électoral, fait prévoir que les appétits de pouvoir des différents prétendants à la succession de Tudjman, que ce soit dans les partis d'opposition ou au sein de l'appareil du HDZ, risquent de se déchaîner. L'exaltation du nationalisme a sans doute, après les guerres et le carnage, perdu de son effet mobilisateur ; du moins on peut le penser. Pour les masses populaires, cette période qui s'ouvre comporte beaucoup d'incertitudes, mais aucune des formations politiques en présence (du moins pour ce que nous en connaissons d'ici) n'apparaît comme porteuse de l'espoir d'un réel avenir favorable pour elles.