Lire : L'entreprise barbare, d'Albert Durieux et Stéphène Jourdain26/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1637.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

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On le sait, les entreprises, et en particulier les grandes entreprises, fonctionnent aujourd'hui en procédant régulièrement à des licenciements (restructurations et réorganisations comme il est dit pudiquement), parfois de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de travailleurs, tout en faisant de très consistants bénéfices.

La dénonciation des méthodes des capitalistes est devenu un sujet à la mode, qui mobilise journalistes, sociologues et le monde de l'édition. Et tant mieux évidemment si cela contribue à mettre sur la place publique une réalité que les travailleurs et les militants ouvriers connaissent bien.

L'entreprise barbare ne contient pas de révélations mais, derrière les chiffres des plans sociaux, les auteurs ont cherché à rencontrer certains de ceux qui avaient été licenciés afin de relater ce qu'ils avaient vécu. Ceux qu'ils ont côtoyés, disent-ils, ce sont des cadres, moyens ou même supérieurs, qui ont reçu le choc de leur vie en se rendant compte de la façon dont ils étaient méprisés et jetés à la porte sans plus d'égards que l'entreprise n'en avait pour un simple employé ou ouvrier. Ils croyaient faire partie des intouchables parce qu'ils étaient directeurs, directeurs-adjoints, ingénieurs, chefs de service ou autres membres de l'encadrement, avant de comprendre qu'ils étaient d'abord et avant tout des salariés ; et des salariés que patrons et membres des conseils d'administration faisaient monter dans la charrette des licenciés comme n'importe quel autre travailleur, lorsque les intérêts de l'entreprise et des actionnaires l'exigeaient.

En accumulant les témoignages sur la façon dont les entreprises procèdent pour se débarrasser des cadres, en licenciant tambour battant ou à l'issue d'une guerre d'usure insidieuse, démoralisante, visant à faire démissionner le salarié devenu indésirable sans lui verser aucune indemnité de licenciement, le livre démonte un aspect particulier de l'exploitation capitaliste. De nouvelles sociétés apparaissent, qui font de l'argent en se spécialisant dans l'organisation des licenciements. Il s'agit de consultants " licenciologues ", qui réfléchissent et mettent au point les meilleures techniques, du point de vue patronal, pour se débarrasser en douceur d'un directeur des ressources humaines, d'un responsable des ventes d'un grand magasin de sport ou d'un syndicaliste un peu trop protégé.

Le livre est intéressant par ce qu'il décrit. Il détaille de façon précise et concrète les méthodes du grand patronat. Il met en scène l'exercice de la flexibilité avec la multiplication des contrats précaires, aidés et généreusement défiscalisés par l'Etat, à travers ce qui se passe chez Siemens, Volvo, Alcatel, Elf, Vivendi, Lyonnaise des Eaux, Renault, etc. Il illustre les réductions d'effectifs massives qui vont de pair avec la flambée du cours des actions et comment les consultants font des calculs aussi fous que ceux du genre " si vous voulez gagnez 6 % de rentabilité avant impôt, c'est 300 salariés en moins qu'il vous faut ". Des exemples des conditions de travail imposées aux salariés de Valéo, l'équipementier automobile français, d'EuroDisney, de L'Oréal, de McDonald's ou d'IBM sont aussi abondamment rapportés. Cela compose un tableau vivant et surtout accusateur de ce système économique, qui fonctionne en broyant les individus.

En revanche, les quelques pages de conclusion, en forme de conseils aux salariés sur l'indépendance d'esprit qui serait l'un de leurs atouts majeurs pour tenir tête à la politique des entreprises, apparaissent bien naïves et dérisoires venant après les faits dénoncés. Mais on peut souhaiter que le livre incite des hommes et des femmes à prendre conscience, à se révolter et à voir, au-delà du constat, qu'il faut changer ce système économique.

Lucienne PLAIN

L'entreprise barbare, d'Albert Durieux et Stéphène Jourdain, éd. Albin Michel, 233 pages, 98 francs

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