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- Lutte ouvrière n°1637
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Lire : La censure militaire et policière 1914-1918 , de Maurice Rajsfus
Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, l'Etat français suspendit l'exercice des libertés dites démocratiques. En particulier, il ne fut plus question ni de liberté d'expression ni de liberté d'information.
Si l'on peut difficilement empêcher les soldats et la population de penser et de parler, en revanche on put confisquer l'écrit pour tenter d'orienter encore davantage les pensées. En tout cas, l'exposé de la vérité et le libre exercice de la critique furent désormais hors la loi. C'est ce règne absolu de la censure durant la Première Guerre mondiale que décrit Maurice Rajsfus dans son livre.
De manière préventive, la censure fut instaurée pour mettre sous le boisseau tout ce qui pouvait diminuer la combativité des soldats sur le front et l'effort de la population à l'arrière. La vérité était l'ennemie et devait rester cachée aux yeux de tous. On tenta de forger une opinion publique unanime. Et si l'auto-censure des journalistes, des auteurs et des individus ne suffisait pas, la censure officielle était là pour indiquer ce qui pouvait être écrit et pour supprimer ce qui ne convenait pas de l'être.
Maurice Rajsfus détaille l'organisation minutieuse de cette censure policière et militaire. Il indique combien elle visait la presse, créant les blancs à coups de ciseaux de censeur. Bien sûr, les pièces de théâtre, les films, les chansons n'échappèrent pas, les petites annonces non plus, dont les abréviations ne pouvaient être aux yeux des censeurs qu'autant d'informations codées transmises à l'ennemi ! La bêtise se mêla allègrement à la hargne répressive, comme à propos de la pièce de Courteline Le commissaire est bon enfant, censurée parce qu'" il ne paraît pas possible de laisser représenter en ce moment une pièce où un commissaire joue, d'un bout à l'autre, un rôle ridicule " fut-il déclaré.
La censure visait aussi la correspondance des soldats avec leurs proches, l'expression des difficultés de l'arrière faisant écho à l'horreur du front. Pourtant, elle ne réussit pas à tout étouffer et Maurice Rajsfus rapporte comment au fil des années de guerre, les initiatives de groupes ou d'individus se multiplièrent pour dénoncer " illégalement " ce qui se passait. Des tracts et des brochures furent distribués dans les boîtes à lettres ou sur un quai de métro, dans la cohue, avant que les portes des rames ne se referment. Des papillons minuscules furent collés. Des textes écrits au crayon et recopiés, des cahiers de papier à cigarette couverts de propos subversifs circulèrent.
La censure ne visait pas seulement l'expression de points de vue critiques sur la guerre ou la propagande pacifiste ou révolutionnaire. Elle se voulait aussi, en ces temps de boucherie mondiale, la garante de prétendues " bonnes moeurs ". L'Union sacrée ne fut pas seulement l'alliance de la majeure partie du mouvement socialiste avec la bourgeoisie et son Etat. Ce fut également l'Union entre le pouvoir, le sabre et le goupillon, l'Union des anticléricaux de naguère avec les curés, faisant la chasse aux chansons, à la danse, au tango, à tout ce qui évoquait la vie face à la guerre et à la mort.
Cette étude détaille les pratiques d'un Etat qui se lança dans une immense entreprise de falsification pour museler l'opinion, les contestations éventuelles, pour maquiller le visage barbare de la guerre de 1914-1918. Un livre riche d'enseignements.
Michel ROCCO
La censure, militaire et policière, 1914-1918, de Maurice Rajsfus, Le Cherche Midi Editeur, 260 pages, 118 F.