La conférence de Seattle : La régulation de l'économie au profit des trusts26/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1637.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

La conférence de Seattle : La régulation de l'économie au profit des trusts

La conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui s'ouvre à Seattle (USA), le 30 novembre, sera la troisième du genre depuis que cette institution internationale vit le jour, en janvier 1995. Y participeront 135 États membres, ainsi qu'un certain nombre d'observateurs, dont la Chine qui, malgré le récent accord commercial sino-américain, doit satisfaire à d'autres conditions avant d'accéder au statut de membre à part entière.

Du GATT à l'OMC

L'OMC se situe dans la continuité d'un processus amorcé en octobre 1947 par un " accord général sur les tarifs douaniers et le commerce " (GATT), signé par 23 pays sous la houlette des Etats-Unis. Pour les pays industrialisés, le but était de mettre un peu d'ordre dans le chaos d'un commerce mondial perclus d'entraves, de goulots d'étranglement et de coûts superflus du fait des multiples barrières protectionnistes érigées par les Etats.

Pendant 48 ans ce processus avança lentement, dans le seul cadre du GATT, c'est-à-dire au fil de négociations aboutissant à des " codes de conduite " auxquels les participants se pliaient ou non suivant leurs besoins du moment, sans qu'une institution soit chargée de faire respecter les décisions.

Finalement, en 1995, les États signataires du GATT (qui étaient alors 128) décidèrent la formation d'une institution permanente, l'OMC, comportant un organisme doté de pouvoirs lui permettant d'imposer son arbitrage en cas de conflit entre États membres - en théorie au moins, parce qu'en pratique ces arbitrages sont rares et ils sont encore plus rarement observés.

Si ce processus a pris tant d'années, c'est que justement les barrières protectionnistes qu'il s'agissait d'éliminer font partie de la panoplie dont se servent les bourgeoisies des différents pays dans la guerre économique contre les bourgeoisies rivales. Il n'était pas question pour elles de renoncer à une partie de leurs armes sans s'assurer auparavant que leurs rivales en abandonnaient au moins autant, et si possible plus. D'où cette interminable saga étalée sur un demi-siècle, due aux rivalités entre les pays industrialisés qui en avaient pris l'initiative.

Et cette saga comme les rivalités qu'elle cache sont loin d'être terminées à en juger par les mois d'âpres négociations entre les principaux participants de la conférence de Seattle juste pour se mettre d'accord sur son ordre du jour, sans y parvenir.

Il est vrai que dans ces rivalités entre pays industrialisés, les Etats-Unis restent sans conteste les maîtres du jeu. Et leurs dirigeants ne l'envoient pas dire, puisque c'est tout à fait ouvertement que la loi américaine s'assoit sur les décisions de l'OMC pour édicter ses propres décrets à l'encontre de telle ou telle compagnie ou pays qui auraient le tort de ne pas se conformer aux exigences de la politique de l'impérialisme américain, vis-à-vis de Cuba, de l'Iran ou de l'Irak par exemple.

Mais la bourgeoisie américaine a aussi les moyens de sa politique. De toutes les puissances impérialistes, c'est la seule qui dispose d'un marché intérieur suffisamment grand pour permettre à ses trusts de résister aux mesures protectionnistes de ses rivales. L'économie de l'Union Européenne est très loin d'avoir atteint un degré d'intégration et de concentration comparable, qui seul pourrait permettre aux trusts européens d'être à égalité avec leurs rivaux américains, même si la construction européenne a précisément pour but de compenser ce handicap.

Un instrument de l'ordre impérialiste

Bien sûr, si l'OMC a pour but de mettre de l'ordre dans le commerce mondial, il ne s'agit pas de n'importe quel ordre, mais de l'ordre impérialiste qu'il s'agit d'imposer tant aux pays pauvres qu'aux pays intermédiaires. Ce n'est pas par hasard si au nombre des personnalités présidant officiellement les festivités auxquelles sont invités les congressistes de Seattle, on trouve les noms des PDG de quelques-uns des plus grands trusts mondiaux (tous américains d'ailleurs) dont Microsoft, Boeing, les constructeurs automobiles Ford et General Motors, le géant de l'électronique Honeywell, la banque Deloittre and Touche, etc.

L'OMC a avant tout pour objectif d'ouvrir le plus de marchés possible aux multinationales et aux capitaux des pays impérialistes. C'est cela que couvre le mot de " mondialisation " dont l'OMC serait un des instruments. Cette " mondialisation " est le fait de tous les pays impérialistes y compris, bien sûr, les pays européens. Évidemment c'est le plus puissant de ces pays impérialistes, les États-Unis, qui en profite le plus... mais tous ont leur part dans ce pillage des ressources des pays les plus pauvres.

Bien sûr, en contrepartie, et avec la bénédiction de l'OMC, les grandes puissances consentent à " ouvrir " leurs propres marchés à leurs partenaires plus faibles. Mais cette " ouverture ", quand elle n'est pas fictive, n'est qu'un leurre car les industries de ces pays sont bien incapables de concurrencer celles des pays impérialistes, sauf parfois dans quelques domaines extrêmement limités et peu profitables.

C'est ainsi que dans les années 1980, en échange d'une réduction des quotas imposés par les Etats-Unis aux produits d'électronique grand public de Corée du Sud, celle-ci dut ouvrir ses frontières aux surplus agricoles américains. La paysannerie coréenne fut ruinée et pour la première fois dans son histoire la Corée du Sud cessa d'être auto-suffisante sur le plan agricole. Un processus similaire est en train de se passer en Inde où, sous prétexte de respect de la " propriété intellectuelle " imposée par l'OMC, des millions de paysans risquent d'être obligés de renoncer à leurs cultures vivrières parce que des trusts impérialistes ont déposé des brevets sur les semences qu'ils utilisent depuis des générations.

Quant aux pays les plus pauvres, eux qui ont le plus souvent pour seules exportations des produits agricoles, ils font les frais du refus de l'Union Européenne d'intégrer les produits agricoles dans le cadre des règlements généraux de l'OMC - refus dû, comble d'ironie, aux pressions américaines pour imposer l'arrêt des subventions aux agriculteurs européens.

Quelles que soient les décisions prises à Seattle, si toutefois les puissances impérialistes parviennent à se mettre d'accord, il faut donc s'attendre à ce qu'elles s'appliquent aux dépens des populations des pays pauvres. Mais il faut aussi dire que l'impérialisme n'a pas attendu l'OMC pour livrer les pays pauvres au pillage. L'OMC n'est qu'un instrument. Mais le bras qui s'en sert est celui du capital et c'est celui-ci qu'il faut abattre.

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