Russie : La sale guerre de Tchétchénie12/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1635.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : La sale guerre de Tchétchénie

Les rares images qui nous arrivent de Tchétchénie, car la frontière est bouclée, montrent un pilonnage incessant de l'artillerie sur la capitale Grosny, des immeubles éventrés, et des flots de réfugiés désespérés cherchant à fuir le pays. Et pendant ce temps des généraux russes déclarent sur des tons de matamores qu'ils poursuivront la guerre jusqu'à l'élimination du dernier " bandit ". Car officiellement il s'agit d'une guerre menée tout à la fois contre le terrorisme international, la mafia tchétchène et le fondamentalisme islamique.

Rappelons-le, c'est parce qu'une série de mystérieuses explosions a détruit plusieurs immeubles en Russie, causant un grand nombre de victimes, explosions attribuées par les autorités russes à la mafia tchétchène, sans le plus petit commencement de preuve, que cette nouvelle guerre a commencé. En réalité il semble de plus en plus que ce sont les services secrets russes qui sont à l'origine de ces attentats, n'ayant d'autres buts que d'indigner la population et de justifier la guerre.

Quant à la vraie raison de la guerre, si elle s'explique par la volonté d'autonomie et même d'indépendance des dirigeants tchétchènes, cela n'a rien d'extraordinaire dans l'immense territoire de la Russie qui fourmille de dirigeants locaux ayant obtenu - ou cherchant à obtenir - une autonomie dans les faits. S'il fallait faire la guerre à chacun, c'est tout le pays qui serait en guerre.

Certains dirigeants, en Russie même, prétendent que la guerre tchétchène a pour but de préparer les futures élections : l'homme fort qui parviendrait à rétablir l'ordre en Tchétchénie serait assuré de conquérir le pouvoir à Moscou. Peut-être, mais à condition... de ne pas subir un revers en Tchétchénie !

Mais surtout cette guerre a une forte odeur de pétrole. Les richesses pétrolières des bassins de la mer Caspienne, que ce soit sur la rive occidentale, en Azerbaïdjan, ou sur les rives orientales, aux Turkestan et Turkménistan, ne peuvent être valorisées que si elles trouvent un débouché sur le monde extérieur. Les pétroliers locaux, les Russes de la Loukoil, et les compagnies occidentales discutent énormément pour savoir par où pourraient bien passer les oléoducs d'évacuation.

Or tous les pays limitrophes de cette région posent des problèmes de sécurité pour les pétroliers, que ce soit l'Iran, l'Arménie, la Turquie, la Géorgie ou la Russie. La Turquie voudrait promouvoir un tracé au travers de son territoire, seulement il y a la guerre dans le Kurdistan. La Russie préférerait le passage, qui existe déjà, mais sur son propre territoire, à travers la Tchétchénie, ou sinon, en contournant la Tchétchénie, à travers le Daghestan, ce qui pour les Russes n'est pas forcément mieux. En tout cas il est bien évident que les mafias tchétchènes, et d'autres, lorgnent avec envie sur ces sources de revenus potentiels.

Alors pour éliminer des dirigeants locaux qui ne leur obéissent pas, les généraux russes bombardent dans le tas. C'est une sale guerre : les civils sont visés car l'armée russe n'a aucun moyen de cibler les combattants. C'est une guerre où on ne voit jamais de prisonniers : ils sont probablement systématiquement torturés avant d'être exécutés, à moins d'être conservés comme monnaie d'échange avec le camp d'en face. Et c'est une guerre qui est probablement ingagnable par l'armée russe, car les exactions ne provoqueront que la levée de nouveaux combattants, de nouveaux " bandits " solidaires des dirigeants tchétchènes.

Enfin, du côté des dirigeants occidentaux, l'indignation morale n'est pas à l'ordre du jour. Depuis des années ils ont choisi d'appuyer le pouvoir en place à Moscou ; l'affaire tchétchène est donc pour eux une simple affaire intérieure russe. Et puis les pétroliers occidentaux sont eux aussi loin d'être désintéressés par le tracé des oléoducs. Cette guerre est après tout aussi la leur.

Mais on vient d'apprendre que les dirigeants américains auraient changé de ton à l'égard des Russes : ils leur reprochent de ne pas respecter, dans cette guerre, les recommandations de la Convention de Genève. Il y aurait de quoi éclater de rire s'il n'y avait pas toutes les victimes ! Décidément la mauvaise farce n'est pas que chez les dirigeants russes.

Comme si les bombardements de l'OTAN au Kosovo et en Serbie, en particulier la destruction des ponts, usines, etc. s'étaient effectués conformément à la Convention de Genève. Comme si le blocus contre l'Irak qui continue à faire périr des civils, par la faim, le manque de médicaments, était conforme à cette Convention. Pour ne pas remonter à des guerres plus anciennes, car la guerre du Vietnam n'a pas été précisément un modèle de respect de ladite Convention...

En tout cas, changement de ton ou pas, les dirigeants russes ont bel et bien les mains libres, et elles sont pleines de sang. Seulement il se pourrait bien que la guerre en Tchétchénie devienne un nouveau bourbier, comme le fut il y a quelques années la guerre d'Afghanistan qui fit périr des centaines de milliers de civils, et des milliers, si ce n'est des dizaines de milliers de soldats russes, en laissant un pays complètement ravagé contrôlé par les seigneurs de la guerre islamistes.

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