Hôpitaux : La charte de la désertification12/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1635.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Hôpitaux : La charte de la désertification

Le 4 novembre, le gouvernement a rendu publique la synthèse des Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire (SROS) qui définissent les orientations hospitalières pour les années 19992004. L'élaboration de ce document a pris dixhuit mois, et voici comment en parlent des membres du cabinet de Martine Aubry : «Au moins une centaine de réunions par région, notamment avec les usagers, un exemple de démocratie sanitaire». Mais on se demande qui le gouvernement a bien pu consulter pour aboutir aux résultats qui viennent d'être annoncés!

Ceux-ci en effet s'inscrivent dans la logique d'économies qu'on connaît depuis des années, et la renforcent.

Des fermetures programmées...

Il ressort tout d'abord de ce plan une importante diminution de l'offre de soins. Sur les 507 000 lits que compte à ce jour l'hospitalisation, publique et privée, le gouvernement estime que 24 000 lits (soit 4,73 %) sont «susceptibles d'être supprimés ou reconvertis». Ceux-ci s'ajouteront aux 20 200 lits supprimés entre 1994 et 1999; au total, en 2004, la capacité hospitalière aura en fait diminué de 8,40 % par rapport à son niveau de 1994.

Déjà 141 sites de chirurgie et 86 maternités ont fait les frais de cette politique dite «de réorganisation ». Réorganisation le scalpel à la main! Et qui touche toutes les régions: sur la carte des menaces de restructurations dressée et publiée par L'Humanité du 2 novembre, on peut compter 31 établissements promis à la fermeture et 207 à des réorganisations pour le moins inquiétantes; 27 unités de soins intensifs en cardiologie disparaîtront, 50 maternités et 128 sites de chirurgie seront « reconvertis ». Un tout autre son de cloche que D'autosatisfaction de Martine Aubry !

Or, même sans parler des fermetures, de plus en plus nombreux sont les hôpitaux qui ont connu des « reconversions»: regroupement de réanimations, de blocs opératoires, constitution de « pôles » ou de « fédérations », etc. Certes, de telles opérations sont souvent l'occasion de moderniser les locaux et le matériel, mais elles ont pour les directions des hôpitaux la fonction bien plus importante de permettre des économies, l'effectif des nouvelles unités n'étant jamais égal à la somme des unités qu'elles remplacent.

...des établissements réduits à la portion congrue

Les services de Martine Aubry sentent tellement bien l'effet que produisent leurs prévisions qu'ils tentent de donner aux SROS une autre signification: «Les SROS insistent beaucoup plus sur ce qu'il faut développer, avec des programmes très ambitieux. Ils ne traitent pas seulement de la recomposition ». Les directeurs d'Agence Régionale de l'Hospitalisation ont donc eu à choisir des priorités sur une liste comprenant les urgences, la cancérologie, les personnes âgées, les soins palliatifs (dont on nous précise que c'est le sujet préféré de Jacques Chirac !)... Ainsi ils pour _ ront sans doute obtenir des crédits pour des opérations de prestige, tandis que ce qui ne relèvera pas de ces domaines se partagera la misère.

C'est si vrai que les établissements hospitaliers seront classés en trois niveaux. Le niveau III aura les ressources et les équipements jugés nécessaires pour traiter les pathologies les plus graves. Mais pour le niveau I, voici ce que dit Dominique Coudreau, directeur de l'Agence Régionale d'Ile-deFrance : «Les autres (établissements) continueront de fonctionner, mais ne bénéficieront pas des mêmes moyens». Or les 400 plus petits établissements hospitaliers publics ne représentent aujourd'hui que 5%o des dépenses hospitalières publiques: réduire leur part de dotation reviendra à les asphyxier.

Des mesures loin de répondre aux besoins des malades

Où iront alors les malades? Déjà en 1997, les urgences hospitalières ont augmenté de 6%. En période de chômage et de baisse du niveau de vie, les malades vont plus vers l'hôpital. La disparition des petites structures signifie l'engorgement de plus en plus grand des urgences existantes.

Autre exemple: les maternités de proximité. Alors que les accouchements normaux sont très bien réalisés dans les petits hôpitaux de proximité, il faudra faire des heures de transport pour aller accoucher. Cela augmentera les accidents analogues à ceux que la presse a relatés cet été. Et le comble c'est que, même dans les services de maternité qui auront survécu, il sera impossible de respecter toutes les directives de sécurité faute de moyens: on multipliera le nombre d'accouchements sans que l'hôpital obtienne une vacation médicale ni un emploi de sage-femme supplémentaire!

Ce qui se passe en gynécologie révèle toute l'hypocrisie du gouvernement. Les femmes qui ne trouveront plus de gynécologues devront aller à l'hôpital, si elles ne veulent pas se contenter de leur généraliste. Mais, dans le même temps, le gouvernement diminue le nombre de lits de gynécologie et les effectifs soignants. Et Aubry ose prétendre, alors qu'un rendez-vous public en gynécologie doit parfois être pris trois mois à l'avance, que son projet vise à « améliorer et garantir la qualité des soins ».

Non, il ne vise qu'à limiter la hausse des dépenses de santé. Comment tenir dans les 2,2 d'augmentation moyenne de la dotation globale des hôpitaux déterminée par la loi de financement 2000 de la Sécurité Sociale? Comment tenir, alors que les techniques médicales nécessitent des équipements toujours plus coûteux, des travaux constants du fait de leur évolution, des personnels de plus en plus longuement formés ? Eh bien, le gouvernement donne la réponse en limitant le nombre d'établissements bénéficiant de ces techniques et, surtout, en s'attaquant au seul poste où l'on peut réaliser des économies importantes car il représente 60 % environ des budgets: le personnel.

Une situation de plus en plus difficile pour le personnel

A propos du personnel qui travaille dans les établissements restructurés, Jean-Pierre Richard, délégué général adjoint de la Fédération hospitalière de France, déclare: « Il va falloir un accompagnement social pour aider le personnel dans sa reconversion, faute de quoi les SROS seront un échec». Mais ce ne sont que des paroles. Les décisions des Agences Régionales de l'Hospitalisation ne prévoient jamais les conditions faites au personnel. Qu'on songe à l'hôpital de Moisselles, en région parisienne, dont la restructuration est programmée depuis plus d'Un an: personne n'a pris le soin d'établir clairement ce que cet établissement allait devenir, s'il allait fermer ou non, ce que deviendraient les personnes qu'il emploie, si elles auront un choix et lequel.

En ce qui concerne l'ensemble du personnel hospitalier, l'objectif du gouvernement est de diminuer de plus en plus les effectifs titulaires remplacés par des contractuels, des faisant-fonction, voire des CES, des emploisjeunes. On voit déjà des directrices parcourir les services en quête de postes à supprimer, telle celle de l'hôpital Beaujon à Clichy qui trouvait anormal qu'il y ait deux infirmières la nuit dans la réanimation d'hématologie, et le leur disait, sans savoir combien de malades elles avaient à surveiller, sans se soucier de la gravité des maladies.

Alors, c'est une évidence Martine Aubry, qui est si fière de sa «démocratie», n'a rien fait pour les personnels ni pour les malades qui ont besoin de leurs soins.

Mais dans de nombreux endroits, cet automne, la politique du gouvernement et des Agences Régionales a entraîné des réactions parmi les soignants. Rien ne dit que ces réactions ne sauront pas s'intensifier et se coordonner encore mieux que les SROS qu'elles combattent.

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