Lire : L'enjeu congolais, de Colette Braeckman29/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1633.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Lire : L'enjeu congolais, de Colette Braeckman

Le nouveau livre de la journaliste belge, collaboratrice au Monde diplomatique, Colette Braeckman, propose un tableau et une explication pour ce qui s'est passé en Afrique centrale depuis 1994, ou, plus exactement, depuis la guerre qui éclata en octobre 1996 dans l'est du Zaïre

Cette guerre s'appuyait localement sur la révolte d'une partie de la population vivant dans la province du Kivu (le groupe des Tutsis congolais appelés les Banyamulenge), victimes de mesures d'oppression ethnique, mais Colette Braeckman montre avec force précisions que ce fut surtout une opération militaire préparée par le Rwanda et l'Ouganda, avec l'appui d'opposants à Mobutu et les encouragements actifs des Etats-Unis. Son objectif était le démantèlement des camps de réfugiés hutus installés dans cette région zaïroise du Kivu, limitrophe du Rwanda.

En effet, pour le régime du Front patriotique rwandais (FPR) installé à Kigali depuis 1994, la sécurité des Tutsis de toute la région était doublement menacée au Kivu : d'abord, en raison des menaces qui pesaient sur les Tutsis résidant (y compris de longue date) en territoire zaïrois, et surtout en raison de la présence des camps de réfugiés hutus rwandais. Rappelons en effet que l'exode massif d'environ un million et demi de Hutus durant l'été 1994, à la suite du génocide et de la victoire du FPR au Rwanda, exode organisé dans le sillage de l'opération militaire française " Turquoise ", avait abouti à l'installation de ces camps, véritables poudrières.

Pour le gouvernement français et une partie du gouvernement belge, qui avaient été solidaires du dictateur Habyarimana, la victoire du FPR représentait un échec. Et les camps de réfugiés organisés au Zaïre voisin, avec la complicité de Mobutu, devaient servir d'instruments de pression politique et de sanctuaires militaires, en vue de préparer la reconquête du pouvoir par l'armée hutue rwandaise et les milices Interahamwe, c'est-à-dire les principaux auteurs du génocide. La masse des réfugiés était encadrée par ces tueurs, militarisée et soumise à leur autorité y compris au niveau de la distribution de l'aide alimentaire, empêchée de retourner au Rwanda. Des sociétés françaises et anglaises livraient des armes.

Si bien que ces hommes en armes, basés dans les camps du Kivu, se livraient à des expéditions meurtrières contre les populations locales, ainsi qu'à des incursions armées à l'intérieur du Rwanda.

La menace pour la sécurité du nouveau régime de Kigali était bien réelle. Ces camps furent l'objectif affirmé de la guerre menée d'octobre 1996 à mai 1997. Cela dit, l'opération s'inscrivait dans le contexte de la déliquescence du régime de Mobutu, en même temps que dans le contexte des rivalités impérialistes, notamment franco-américaines. La France soutint Mobutu jusqu'au bout ; les Etats-Unis étaient derrière le Rwanda et l'Ouganda, dont la couverture politique fut l'" Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo " (AFDL), avec pour porte-parole Laurent-Désiré Kabila.

Colette Braeckman consacre un chapitre intéressant à la biographie de cet homme, vieil opposant à Mobutu, survivant de l'époque de Lumumba, semi-aventurier qui fut recruté et proposé aux dirigeants rwandais et ougandais par ceux de la Tanzanie (où il vivait), avec " derrière eux, les Américains de la CIA ", selon l'auteur.

La guerre se poursuivit au-delà des buts initialement déclarés. L'armée de Mobutu et ses mercenaires (serbes notamment, recrutés par la France) rapidement mis en déroute, les rebelles encadrés par les militaires rwandais et ougandais parvinrent jusqu'à Kinshasa, la capitale du Zaïre, à quelque 1 000 km de leur base de départ, et Kabila accéda au pouvoir, en mai 1997.

Mais les alliés qui avaient porté Kabila au pouvoir n'avaient pas recruté un homme totalement malléable et, dès la fin de 1997, ils envisagèrent de le " lâcher " pour miser sur d'autres cartes, parmi lesquelles par exemple des richissimes anciens généraux de Mobutu. Kabila fut vite jugé trop indocile aussi par les responsables américains, surtout lorsqu'il céda des droits d'exploitation du cobalt congolais à une compagnie chinoise... Il cherchait à profiter des richesses du Congo pour prendre du champ par rapport à ses " protecteurs ".

Fut-il visé par une tentative de putsch ou prit-il les devants ? Toujours est-il que Kabila décida de renvoyer ses " conseillers " rwandais et que cela déclencha une guerre inter-africaine, impliquant 8 Etats. Le 2 août 1998, une nouvelle rébellion éclatait au Kivu, oeuvre des Ougandais et des Rwandais soutenus par les USA, tandis que le gouvernement de Kabila, menacé, obtenait l'appui décisif de l'Angola, du Zimbabwe et de la Namibie.

Cette deuxième guerre, avec son retournement des alliances, avait au fond toujours les mêmes enjeux économiques : les ressources pétrolières d'une partie de la côte africaine, où l'Angola est particulièrement concernée, et qui est une zone essentielle de profits pour Elf ; et puis les métaux précieux et les minerais, dont les provinces congolaises telles que le Kivu, le Kasaï, le Shaba, regorgent, que ces ressources soient exploitées ou potentielles. Ces intérêts, Colette Braeckman les passe en revue, avec de nombreux détails, de même qu'elle passe en revue les motifs d'implication des différents pays africains environnants, sur lesquels se greffent les rivalités inter-impérialistes, en particulier franco- américaines, autour du Soudan par exemple.

Trafiquants de diamants et / ou d'armes, " commerçants " oeuvrant au blanchiment de l'argent de la drogue, hommes des trusts et des services secrets, mercenaires, tout ce sale monde grouille et s'engraisse avec le sang des peuples. Et cela, le livre le montre très bien. Évidemment, en présence d'une réalité et de conflits d'intérêts passablement compliqués, et même si l'auteur cherche à clarifier les choses pour le lecteur, L'enjeu congolais n'est pas d'une lecture toujours aussi aisée que ses précédents ouvrages, notamment Rwanda, Histoire d'un génocide. Il comporte pas mal de retours en arrière sur l'histoire de l'Ouganda, de l'Angola, etc.

Mais c'est un ouvrage extrêmement instructif, précis, détaillé, et même si on peut parfois estimer que l'auteur se montre un peu trop indulgente pour Kabila, il a le rare mérite de dénoncer clairement et avec coeur les responsabilités non seulement des despotes locaux mais aussi des dirigeants impérialistes dans la tragédie des peuples africains.

C. LG

L'enjeu congolais, l'Afrique centrale après Mobutu, de Colette Braeckman, Editions Fayard, 415 pages, 138 F

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