La grenouille française et le boeuf britannique : L'art d'intoxiquer le consommateur...29/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1633.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

La grenouille française et le boeuf britannique : L'art d'intoxiquer le consommateur...

Le ministre français de l'Agriculture a reporté la rencontre avec son homologue anglais. Les conditions d'un " dialogue serein ne sont pas réunies ", dit-il. Ils devaient se voir à l'occasion de la demi-finale de la Coupe du monde de rugby. Mais depuis quelque temps, sur le terrain de l'agro-alimentaire la mêlée fait rage de part et d'autre de la Manche, et elle menace même de dégénérer en véritable guerre commerciale : d'un côté, on assiste à un début de boycottage des produits français, tandis que, de l'autre, des organisations agricoles, telle la FNSEA, menacent de bloquer les camions britanniques au débouché du tunnel sous la Manche.

Alors que l'Union européenne vient de lever l'embargo décidé sur la viande britannique après l'affaire de la " vache folle ", la France le maintient, provoquant la colère des milieux agricoles outre-Manche et de leurs relais auprès de l'opinion. Des chaînes de supermarchés y ont ainsi décidé de ne plus vendre ni de... gui de Noël ni de pain français et la presse populiste britannique a lancé une campagne chauvine sur le thème " Just say Non " (" Il n'y a qu'à dire non "), appelant à refuser les produits français.

Dans l'opposition, le Parti Conservateur en a profité pour embarrasser le Premier ministre travailliste car Tony Blair vient de lancer une campagne pour l'adhésion de son pays à la zone Euro. Pour lui, le moment est mal venu de prêter le flanc à l'accusation démagogique de brader les intérêts nationaux sur l'autel de l'Europe, voire d'abaisser le boeuf anglais devant la " grenouille " française, présentée comme fréquentant des mares boueuses. En effet, le Parti Conservateur vient d'appeler à interdire l'importation de la viande française, invoquant, pour cela, le rapport de l'Union européenne - plus diffusé ailleurs qu'ici, et pour cause ! - qui met en cause la production française de farines alimentaires animales comportant des " effluents douteux ", en clair, des huiles de vidange, des eaux et boues de fosses septiques.

Après la vache folle anglaise, le poulet à la dioxine belge, voici la farine d'eaux usées française...

Ce rapport rappelle à point nommé qu'en matière de santé, quel que soit le pays concerné, le secteur capitaliste de l'agro-alimentaire se moque du consommateur comme de sa première intoxication alimentaire. Et les Etats, sous prétexte de protéger " leurs " consommateurs, se préoccupent bien moins de ces derniers que des intérêts de leurs propres producteurs, à commencer par les plus gros, les trusts de l'agro-alimentaire et de la distribution, lesquels, soit dit en passant, savent se jouer des embargos quand cela les arrange. On en a eu un petit aperçu lors de plusieurs scandales récents, de la commercialisation de poulets belges rebaptisés " bretons " par la firme Pic-Pic à la saisie de camions important de la viande anglaise " blanchie " par un détour en Irlande, en Hollande ou en Belgique.

Ce qu'on met dans nos assiettes n'est ni reluisant ni rassurant, quel que soit le pays concerné, car partout où règne la loi du profit maximum, on peut s'attendre à ce que la tentation de transformer la boue en or soit plus forte que l'intérêt du consommateur.

Et si les campagnes cocardières intéressées sur la " qualité ", dont on nous abreuve en ce moment, jouent de l'inquiétude légitime des consommateurs, elles visent aussi, sinon surtout, à nous faire oublier que ce sont les intérêts des grands groupes capitalistes que chaque Etat défend, y compris par des mesures protectionnistes à peine déguisées sous prétexte de santé publique. Europe ou pas, ce sont d'abord ses propres capitalistes que chaque Etat protège, dans l'agro-alimentaire comme ailleurs, en cherchant à leur offrir un marché national plus ou moins protégé et des débouchés toujours plus vastes à l'exportation, par exemple, en accusant les pays voisins de faire... ce que tout le monde fait. Et, pendant que certains font monter une sauce chauvine peu ragoûtante, ils espèrent que l'on oubliera que, dans l'affaire de la vache folle, comme dans celles des boues usées ou du poulet à la dioxine, la justice de chaque pays comme de l'Union européenne s'est bien gardée d'inculper les grands groupes à l'origine de tels scandales. Les profits d'abord, et bon appétit...

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