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Pakistan : L'armée reprend le devant de la scène
Il a suffi que le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif essaie de destituer le chef de l'armée pour que celle-ci, le 12 octobre, renverse le gouvernement civil et prenne directement en main le pouvoir. Cela dans un contexte où, il est vrai, le discrédit et la pourriture du régime avaient atteint un tel degré que le coup d'Etat semble avoir été plutôt bien accueilli d'une fraction importante de la population.
Aujourd'hui, les militaires au pouvoir disent, comme toujours en pareil cas, vouloir lutter contre la corruption. Ils ont gelé les comptes en banque des principaux hommes politiques, et menacent de publier la liste des fraudeurs. Ils auraient certes bien du travail à faire, à commencer par eux-mêmes. Le budget de l'armée représente 30 % des dépenses de l'Etat. Les militaires, à l'occasion du soutien aux moudjahidin afghans dans les années 1980, ont mis la main sur de fructueux trafics d'armes et de drogue, et largement détourné l'aide internationale. Avec les mafias liées aux grands propriétaires fonciers et aux industriels, ils étranglent de concert une des populations les plus pauvres du monde. Il est vrai que l'impérialisme prélève, lui aussi, largement sa part. Le budget de la dette dépasse même celui de l'armée et se monte à 40 %.
En fait, depuis la création du Pakistan en 1947 à l'issue d'une guerre sanglante avec l'Inde, l'armée a toujours joué un rôle prépondérant dans la direction des affaires du pays où elle a exercé directement le pouvoir pendant un total de 25 ans, en partie grâce aux généreuses subventions de l'impérialisme US à qui elle a servi d'instrument dans la guerre froide, en Afghanistan en particulier. Ce fut elle qui dans les faits porta " démocratiquement " au pouvoir le Premier ministre qu'elle vient de déposer, Nawaz Sharif, en 1998, là aussi au nom de la lutte contre la corruption du régime - d'ailleurs bien réelle. Il remplaça alors Benazir Bhutto, fille d'Ali Bhutto, assassiné par un dictateur précédent, et représentante d'une puissante famille féodale du sud du pays. Avec Nawaz Sharif, leader de la Ligue Musulmane, c'est un autre clan qui venait au pouvoir, celui-ci basé dans la région de Lahore, dans le nord, ce qui engendra la montée d'une véritable guerre civile larvée au sud, en particulier à Karachi. Nawaz Sharif s'appuya alors sur les forces intégristes, renforçant le règne de la loi islamique, imposa des mesures d'austérité draconiennes aux classes laborieuses, et décréta en mai 1998 l'état d'urgence pour faire face aux grèves ouvrières. Mais il eut manifestement le tort aux yeux des militaires, d'abord, de jouer avec le feu en attisant les conflits inter-ethniques et religieux au Pakistan, ensuite de céder à la pression internationale en reculant au Cachemire face à l'Inde... et il aggrava son cas en voulant s'en prendre aux sommets de l'armée.
Aujourd'hui, les grandes puissances font pression, notamment par le biais du FMI, pour que le régime se donne à nouveau une façade civile. Les candidats ne manquent pas, à commencer par Benazir Bhutto qui a déclaré qu'elle " comprenait la réaction de l'armée ". Quant aux grandes puissances, elles souhaitent avant tout un retour à une stabilité politique qui permette à l'impérialisme, main dans la main avec les clans féodaux et les chefs militaires, d'étrangler la population pakistanaise.