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- Lutte ouvrière n°1629
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Russie : Les deux guerres du Kremlin - la Russie relance la guerre en Tchétchénie sur fond de lutte pour le pouvoir entre clans dirigeants de la bureaucratie
Depuis quelques jours, la Russie bombarde à nouveau la Tchétchénie. Cela rappelle à plus d'un titre ce qui s'était passé entre 1994 et 1996, lors de la première guerre de Tchétchénie.
Depuis des années, le Kremlin est confronté au problème d'une république, en théorie partie intégrante de la Fédération de Russie, mais indépendante de fait. Or non seulement Moscou n'a pas réussi à la faire plier militairement, mais l'existence même de la petite république sécessionniste fait la démonstration de l'impuissance du Kremlin à imposer son autorité et encourage, s'il en était besoin, les chefs des régions à prendre encore plus de champ par rapport au " centre ". On vient à nouveau de le constater avec l'éclatement de la Karatchaïévo-Tcherkessie, une autre république du Caucase russe.
Autre ressemblance avec la précédente guerre : la situation qui prévaut dans les allées du pouvoir russe. En 1994-1996, un Eltsine au pouvoir déjà fort affaibli avait cru trouver dans la guerre un moyen de redorer son blason. Comme aujourd'hui, à quelques mois d'échéances électorales s'annonçant mal pour lui, il avait tenté, avant la présidentielle de 1996, de se présenter comme seul capable d'assurer la sécurité alors qu'une vague d'attentats (déjà attribués aux Tchétchènes mais jamais élucidés) avait frappé le pays.
Fuite en avant
Mais il y a une différence essentielle entre la guerre d'alors et celle d'aujourd'hui : le contexte politique s'est considérablement dégradé pour les tenants du pouvoir. Leur position actuelle est menacée non seulement par les suites économiques et sociales du krach de 1998, mais par d'énormes scandales financiers compromettant la " Famille ", c'est-à-dire l'entourage immédiat d'Eltsine.
Les autres clans dirigeants (dont celui du maire de Moscou, Loujkov, et d'un ex-Premier ministre, Primakov) espèrent que, lors des élections législatives de décembre et présidentielle de juin, la haine de la population pour la " Famille " leur permettra de remplacer celle-ci au sommet. Et les sondages indiquent que le tandem Primakov-Loujkov pourrait y parvenir sans peine, si les scrutins se tiennent bien aux dates prévues. Or, rien n'est moins sûr : des transfuges du clan eltsinien ont rapporté dans la presse des plans échafaudés par la présidence afin d'annuler ces scrutins en instaurant l'état d'urgence.
Les récents attentats meurtriers, les nécessités de la lutte contre leurs prétendus auteurs tchétchènes, y compris en lançant l'armée sur le Caucase, tout cela pourrait s'inscrire dans un scénario écrit tout exprès par les hommes du Kremlin afin de rester au pouvoir.
Les amis " terroristes " du Kremlin
Ceux-ci sont-ils capables de mettre le pays à feu et à sang pour conserver le pouvoir ? Peu de monde en doute, surtout en Russie. Qu'ils en aient les moyens est encore une autre affaire. Mais dans ce pays en proie aux pillards de tout poil (en costume de bureaucrates, en tenue de chefs de guerre ou camouflés sous une des raisons sociales des innombrables mafias proches des différents pouvoirs), il n'y a que trop de groupes ou de dirigeants dont le pouvoir peut invoquer les agissements pour décréter l'état d'urgence.
Pour s'en convaincre, il suffit d'évoquer les liens unissant Berezovski, politicien-affairiste membre de la " Famille ", et Bassaïev, ce chef de guerre tchétchène dont les raids au Daghestan servent de justification au Kremlin pour bombarder la Tchétchénie, accusée de lui servir de base arrière. Berezovski a reconnu avoir versé des millions de dollars à Bassaïev pour, dit-il, l'" aider à reconstruire la Tchétchénie " après la guerre de 1994-1996, mais en fait pour qu'il protège de ses armes les intérêts pétroliers de Berezovski au Caucase. Et, à en croire ce que rapporte la presse russe et occidentale, il dispose de ce qu'il faut pour cela puisque ses partisans sont dotés d'armes russes sophistiquées et récentes, à la différence des soldats fédéraux censés les combattre.
Comme au Kosovo
Sa complicité de fait avec des chefs terroristes, la bureaucratie russe la camoufle sous une dénonciation chauvine des Tchétchènes en tant que tels.
Le Premier ministre Poutine a annoncé qu'il faisait boucler les frontières de la Tchétchénie pour empêcher ses " bandits " d'envahir la Russie et qu'il y faisait bombarder les " bases terroristes ", en fait, des villages ou des quartiers de Grozny. Et d'ajouter qu'il ne faisait que copier la tactique de l'OTAN au Kosovo et que " la communauté internationale ne comprendrait pas que la Russie ne se défende pas contre le terrorisme international ". Une façon cynique de dire que, comme en Yougoslavie, les civils sont pris en otages et que les Etats occidentaux " comprendront ".
Le moins que l'on puisse dire, est que, pas plus qu'en 1994-1996, l'on n'entend les grandes puissances protester contre cette sale guerre ou les agissements de la milice (la police) à l'encontre des Tchétchènes habitant en Russie même. A Moscou, les autorités - qui n'ont toujours pas arrêté un seul véritable terroriste, et l'on serait tenté d'ajouter : et pour cause - ont obligé tous les non-Russes à obtenir de la milice un nouveau permis de résidence (sur les cent mille Tchétchènes de Moscou, seule la moitié en ont obtenu un, des milliers d'autres devant fuir ou se cacher). La milice procède à des contrôles et perquisitions si brutaux que même des journaux russes s'en émeuvent. Mais elle se sait couverte car gouvernement et mairie surenchérissent dans la démagogie anti-tchétchène auprès d'une population traumatisée par les attentats.
Boucs émissaires de ce climat raciste dans les villes russes, les Caucasiens en payent un prix plus lourd sur place : les réfugiés de la nouvelle guerre s'y comptent par dizaines de milliers et ses morts par centaines. Mais la population russe risque d'en faire les frais, elle aussi. Ce sont ses fils que le Kremlin va envoyer se battre à nouveau pour une cause qui n'est pas la leur et qui affronteront une population qui ne pourra les voir que comme les instruments de son malheur. Car derrière son objectif proclamé (éradiquer le terrorisme), la guerre a d'abord pour résultat d'apporter de l'eau au moulin des chefs de guerre du Caucase en jetant dans leurs bras et dans ceux de la réaction intégriste des jeunes prêts à tout.
En Russie, la tentative de réaliser une union sacrée dans la guerre procurera-t-elle un sursis au clan eltsinien pour se maintenir au pouvoir ? L'avenir le dira. Mais il est évident que même les dirigeants qui dénoncent la corruption du régime ne valent pas mieux que lui, eux qui font chorus avec lui pour attiser les pires préjugés et enfoncer à nouveau le pays dans un bourbier sanglant.