Guadeloupe : Qui sème le vent récolte la tempete01/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1629.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Guadeloupe : Qui sème le vent récolte la tempete

En Guadeloupe, la ville de Pointe-à-Pitre a connu deux jours d'émeute, les jeudi 23 et vendredi 24 septembre. A l'origine de ces événements, il y a à la fois la répression patronale contre des travailleurs combatifs, le mépris de la classe possédante et de l'administration visà-vis de la population noire, l'attitude provocatrice de la justice et de la police, enfin le poids du chômage.

Tout a commencé avec le licenciement arbitraire d'un travailleur, Pascal Sébastien, employé depuis plusieurs années dans un garage, filiale du groupe Auto Guadeloupe, appartenant à une puissante famille béké (descendants des propriétaires esclavagistes). Au-delà de faits mineurs qui ne justifiaient nullement un licenciement, ses patrons lui reprochaient surtout de leur tenir tête et de vouloir créer une section syndicale UGTG, confédération indépendantiste à l'origine de plusieurs conflits récemment.

Ce travailleur avait tenté de se battre contre son licenciement avant d'entamer une grève de la faim devant l'entreprise. Des militants de FUGTG d'autres entreprises ainsi que des jeunes venaient le soutenir en se rassemblant autour de lui. Déjà, des échauffourées avec la police locale avaient eu lieu à plusieurs reprises devant le siège de l'entreprise à la suite desquelles deux militants de l'UGTG avaient été mis en garde à vue et emprisonnés. Les policiers reprochaient, notamment à l'un d'entré eux, Armand Toto, de les avoir injuriés et mordus.

Les choses commencèrent à prendre de l'ampleur à partir du 22 septembre où FUGTG organisait un meeting. Le dirigeant du syndicat, Gaby Clavier appela à deux journées d'action pour le lendemain et le surlendemain. Le jeudi 24 donc, un millier de travailleurs de l'UGTG mais aussi de la CGTG ainsi que des jeunes se rassemblèrent pour manifester dans les rues de Pointe-à-Pitre. La manifestation s'arrêta longuement devant le palais de justice où Toto devait comparaître le jour même. D'importantes forces de CRS et de gendarmes quadrillaient les abords du tribunal. Puis la manifestation prit la direction d'Auto Guadeloupe où des militants, dont Gaby Clavier, tentèrent de forcer le barrage de gendarmes pour pénétrer dans l'entreprise. Les premiers rangs furent sévèrement tabassés tandis qu'une pluie de grenades lacrymogènes s'abattait sur le reste du cortège. Clavier, blessé à la tête, ainsi que huit militants furent arrêtés.

Eannonce de ces incidents se répandit aussitôt et des groupes de manifestants, bientôt rejoints par des jeunes des quartiers pauvres, commencèrent à jeter des pierres sur les forces de l'ordre, brisèrent les vitrines d'Auto Guadeloupe, s'en prirent à des voitures des administrations publiques (Poste, EDF, RFO...) et mirent en place des barricades. Certains jeunes s'en prirent aussi à des magasins qui furent pillés. Les affrontements durèrent une bonne partie de la nuit.

Le lendemain, l'administration préfectorale mit la ville en état de siège, d'autant que ce jourlà, le jugement d'Armand Toto devait être rendu et que le verdict ne faisait guère de doute. L'arrivée de renforts de gardes mobiles, venus de France et de Martinique, rendit l'atmosphère encore plus électrique. La tension monta encore d'un cran lorsque des militaires blancs remplacèrent ou renforcèrent leurs collègues noirs face aux manifestants.

A plusieurs reprises déjà, on avait vu des jeunes s'en prendre à des Blancs symbolisant pour eux la domination coloniale, la richesse et le mépris pour la population locale. En effet, dans ce pays à majorité noire, 99% des patrons sont blancs ainsi que la plupart des responsables de l'administration et de la Fonction publique.

C'est cette administration, c'est cette police, ce sont ces tribunaux qui prennent ainsi parti de façon provocante en faveur d'un patron qui veut licencier un travailleur; tout cela dans une situation où il y a 30% de chômeurs, 20 000 familles vivant en dessous du seuil de pauvreté et des milliers de travailleurs payés au Smic, avec en face, d'opulentes fortunes, l'arrogance des riches békés. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour une explosion de colère.

Dans l'après-midi du 24, l'annonce de la condamnation d'Armand Toto à 4 mois de prison ferme relança l'émeute. La prétendue justice étalait une fois de plus son caractère colonial. Toute la nuit, ce fut le même scénario que la veille, avec ceci en plus que certains jeunes s'étaient armés de cocktails Molotov, d'autres de fusils à grenaille. Il y eut huit blessés parmi les forces de l'ordre. Et on compte près de 70 arrestations de jeunes qui devaient passer en procédure de comparution immédiate le lundi 27.

Au cours du week-end, le calme revint mais la colère, le ressentiment demeurent chez beaucoup de travailleurs et de jeunes. Certes, ceux-là ne constituent pour le moment qu'une minorité par rapport à l'ensemble de la population, mais toutes les raisons demeurent pour d'autres explosions.

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