1936 : Quand le chef du Front populaire s’explique sur les grèves17/07/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/07/une_2920-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

Leur société

1936 : Quand le chef du Front populaire s’explique sur les grèves

La SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) publia en 1944 les interventions du dirigeant socialiste du gouvernement de Front populaire, Léon Blum, lors de ses auditions devant la cour de Riom en 1942. Pétain avait voulu ce procès pour trouver des coupables à la défaite des armées françaises en 1940.

C’est une lecture éclairante sur la réalité de ce que fut la politique du Front populaire, en particulier vis-à-vis de l’immense mouvement de grève, bien éloignée de la version mensongère colportée par les dirigeants de la gauche actuelle. Nous en publions ci-dessous des extraits.

« Cette loi de quarante heures fait partie intégrante d’un ensemble politique. Cette politique, je n’ai pas eu à la choisir, elle m’a été imposée dans les circonstances où j’ai pris le gouvernement, par une nécessité de droit, et par une nécessité de fait, ayant véritablement le caractère d’un cas de force majeure.

Rappelez-vous que, les 4 et 5 juin, il y avait un million de grévistes. Rappelez-vous que toutes les usines de la région parisienne étaient occupées. Rappelez- vous que le mouvement gagnait d’heure en heure et de proche en proche dans la France entière. (…) Je n’étais pas sans rapports moi-même avec les représentants du grand patronat et je me souviens de ce qu’était leur état d’esprit à cette époque : “Alors quoi ? C’est la révolution ? Alors quoi, qu’est-ce qu’on va nous prendre ? Qu’est-ce qu’on va nous laisser ?” Les ouvriers occupaient les usines. Et, peut-être, ce qui contribuait le plus à la terreur, c’était cette espèce de tranquillité, cette espèce de majesté calme avec laquelle ils s’étaient installés autour des machines. (…)

M. Lebrun (le président de la République) me répondit alors : “(…) Je vous en prie, dès demain, adressez-vous à eux par la voix de la radio. Dites- leur que le Parlement va se réunir, que dès qu’il sera réuni, vous allez leur demander le vote rapide et sans délai des lois dont le vote figure dans leurs cahiers de revendications, en même temps que le relèvement des salaires. Ils vous croiront, ils auront confiance en vous et alors, peut-être ce mouvement s’arrêtera-t-il ?” (…)

Sans nul doute, j’aurais tenté de moi-même ce qu’on a appelé l’accord Matignon. Mais je dois à la vérité de dire que l’initiative première est venue du grand patronat. (…) On ne demandait qu’une chose aux Chambres : aller vite, vite, afin de liquider une situation que j’ai qualifiée non pas de révolutionnaire mais de quasi révolutionnaire, et qui l’était en effet. (…) La contrepartie, c’était l’évacuation des usines. Dès ce jour-là, les représentants de la CGT ont dit aux représentants du grand patronat qui étaient à Matignon : “Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons et nous le ferons. Mais nous vous avertissons tout de suite. Nous ne sommes pas sûrs d’aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-là, à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s’étaler. Et puis c’est maintenant que vous allez peut-être regretter d’avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines les militants syndicalistes. (…) Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades l’autorité qui serait nécessaire pour faire exécuter nos ordres”. Et je vois encore M. Richement (un représentant du patronat) qui était assis à ma gauche, baisser la tête en disant : “C’est vrai, nous avons eu tort.” (…)

Je dois vous dire qu’à ce moment dans la bourgeoisie, et en particulier dans le monde patronal, on m’espérait comme un sauveur. Les circonstances étaient si angoissantes, on était si près de quelque chose qui ressemblait à la guerre civile qu’on n’espérait plus (…) que dans l’arrivée au pouvoir de l’homme auquel on attribuait sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant de persuasion pour qu’il lui fit entendre raison et qu’il la décidât à ne pas user, à ne pas abuser de sa force. (…)

Voilà Messieurs, dans quelles conditions ont été votées les lois sociales dont l’accusation extrait la loi des quarante heures. (…)

En 1938, c’est autre chose. (…) J’ai donc obtenu l’accord (…) qui porte à 45 heures, par addition de cinq heures supplémentaires, le temps normal de la durée de travail dans tous les établissements travaillant directement ou indirectement pour la défense nationale. »

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