CMA-CGM : remorqué par l’État31/05/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/06/2861.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

CMA-CGM : remorqué par l’État

Le 8 mai, CMA-CGM a racheté la division transports et logistique du groupe Bolloré, pour cinq milliards d’euros. La compagnie maritime, déjà troisième mondiale dans le transport de conteneurs, devient ainsi l’une des premières dans le transport maritime, terrestre et aérien.

Ces trois dernières années, CMA-CGM a fait plus de 40 milliards de profits. Il a dépensé 36 milliards d’euros pour acheter des équipements portuaires, des remorqueurs, des entrepôts, des avions, des bateaux et des trains partout dans le monde. CMA-CGM est entré dans les médias, se payant le quotidien La Provence, puis une participation dans M6 et, le 28 mai, le quotidien économique La Tribune. Il est aussi entré dans le transport de voitures, les ferries, le fret aérien, les satellites. La liste est aussi longue que les commentaires élogieux des médias et des ministres, qui ne peuvent pourtant pas cacher que cette brusque fortune vient d’un vol manifeste. Les profits monstrueux de CMA-CGM, comme ceux de ses deux concurrents et partenaires, Maersk et MSC, ont découlé de leur activité dans le transport maritime et du fait qu’ils ont multiplié leurs prix par dix, en profitant de la situation de crise post-Covid. Les médias sont en revanche plus discrets sur la façon dont la compagnie en est arrivée à pouvoir ainsi taxer le commerce mondial.

La famille Saadé, propriétaire et dirigeante de CMA-CGM, armait en 1978 un seul navire, sur la ligne Beyrouth-Marseille. Liée au président libanais ­Hariri et à son ami Chirac, elle bénéficia d’un sérieux coup de pouce en 1996 et paya 20 millions de francs l’acquisition de la CGM, que l’État venait de renflouer à hauteur de 1,3 milliard de francs. L’affaire donna lieu à un procès, qui s’est depuis perdu dans les sables. Puis la famille Saadé développa une flotte de porte-conteneurs sur la route Chine-Europe, ses bons rapports avec l’État lui facilitant aussi bien les crédits bancaires que les amitiés administratives chinoises. La crise financière de 2008, suivie du quasi-arrêt du commerce mondial, ruina les compagnies maritimes. CMA-CGM n’avait alors plus un centime, mais devait cinq milliards de dollars aux banques et avait des bateaux en commande pour cinq autres milliards. Là encore, l’État intervint pour apporter sa garantie et faire patienter les créanciers.

En plus des ports et de leurs infrastructures, indispensables aux porte-conteneurs géants, l’État a également offert des lois sur mesure à CMA-CGM. Il a créé un pavillon de complaisance, le RIF, qui permet aux armateurs de bénéficier des avantages nationaux sans toutefois avoir à payer les salaires, les impôts et les cotisations sociales correspondantes. Les matelots recrutés de par le monde sont ainsi payés au tarif du pays dont ils viennent, et évidemment pas suivant les bénéfices de l’armateur. Étant désormais en grande majorité des travailleurs indépendants, ils peuvent être débarqués sans préavis, comme en 2008, ou au contraire être contraints de rester à bord 18 voire 24 mois, comme lors de la pandémie. Autre faveur, CMA-CGM n’est pas imposé sur les bénéfices mais sur le tonnage de ses navires, comme une charcuterie qui serait imposée sur sa superficie et pas sur le métrage de boudin qui en sort. Enfin, l’Union européenne permet aux armateurs de déroger aux lois sur les ententes d’entreprises et, sous de vertueux prétextes écologiques, subventionne largement le renouvellement de leurs flottes.

Si l’État est la vache à lait des capitalistes en général, cette vache a eu pour CMA-CGM une mamelle géante.

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