Dans le monde

Russie : la guerre profite aux oligarques

Le Kremlin dément toute nouvelle mobilisation, même partielle, pour faire face aux pertes de ses troupes en Ukraine. Mais, alors qu’il invoque des « erreurs » quand des étudiants disent recevoir malgré tout des convocations militaires, les autorités russes s’activent partout pour se procurer un surcroît de chair à canon.

Elles en sont à racler les fonds de tiroir avec leur campagne agressive à la télévision, tel ce clip dont l’argument est : « Tu es un mec, prouve-le, engage-toi ». Et dans les rues, les galeries marchandes, près des stations de transports on a vu surgir une multitude de kiosques affichant « contrat – défendre la patrie » pour recueillir les engagements.

Ceux auxquels s’adresse une propagande omniprésente, et qui prend bien d’autres formes, ne sont pas les jeunes éduqués. Nombre d’entre eux, généralement issus de la petite bourgeoisie des villes, ont trouvé des moyens de couper à la conscription : sursis, fuite à l’étranger, exemptions achetées à des médecins militaires, etc. Non, ce sont les classes populaires que vise la chasse aux engagements. En l’occurrence des hommes, pas forcément très jeunes, qui ont des emplois précaires, mal rémunérés, et qui peuvent vouloir une autre existence, et surtout la solde d’un engagé, qui est quatre à cinq fois plus élevée que le salaire d’un travailleur en province.

Depuis quinze mois que le régime recrute de la sorte, ceux que cela peut décider à signer un contrat se font de plus en plus rares. Plus personne n’ignore comment la caste des officiers traite les soldats, à l’arrière et au front, d’où une multiplication des condamnations pour désertion ou refus d’aller en opération, tant le risque de s’y faire tuer est élevé.

Mais si cette guerre tourne de plus en plus au cauchemar pour ceux qui sont contraints de la faire, et de la subir, pour d’autres elle a aussi ses bons côtés. Et même de très bons côtés à en juger par ce qu’en dit le classement annuel de Forbes Russie sur la fortune dans ce pays.

En un an, grâce à la guerre et malgré les sanctions occidentales, les oligarques, ces magnats du monde russe des affaires, ont notablement accru leur nombre (110, soit 22 de plus) et leur fortune (505 milliards de dollars, soit 152 milliards de plus). Cet accroissement est essentiellement lié à la flambée des matières premières sur les marchés internationaux, ressources sur lesquelles est assise la fortune des oligarques, depuis qu’ils ont mis la main dessus après l’effondrement de l’Union soviétique.

Certes, l’économie russe s’est officiellement contractée de 2,2 % en 2022 du fait de la guerre. Le niveau de vie des classes laborieuses a fortement pâti des fermetures d’usines, des pénuries, du renchérissement des produits importés et bien sûr du départ de centaines de milliers d’hommes à la guerre. Mais les parasites de la haute bureaucratie politico-affairiste, eux, n’en souffrent pas, bien au contraire. Embargo ou pas, par exemple, le pétrole russe continue à se vendre, et donc à leur rapporter gros. Pour cela, il faut simplement que les cargaisons de brut fassent un petit tour chez des intermédiaires grecs, turcs ou autres. Quant aux oligarques eux-mêmes, ils continuent à prospérer grâce à de tels arrangements, mais aussi parce que les grands groupes industriels et financiers occidentaux y trouvent leur compte.

Depuis quinze mois que dure la guerre en Ukraine, beaucoup de Russes richissimes ont pris leurs précautions. Quelques-uns, très peu en fait, ont changé de nationalité. Mais le reste, les cent et quelque milliardaires et d’autres à peine moins fortunés avaient juste pris les devants en faisant migrer leurs sociétés, leurs fonds et leurs yachts dans des contrées intéressées à les accueillir. Tel est le cas des paradis fiscaux du Golfe, où beaucoup résident désormais au moins à temps partiel. Même si un projet de loi, que le Kremlin destine à la population qui n’a pas les mêmes moyens de se mettre à l’abri, prévoit de doubler le taux d’imposition des citoyens russes résidant à l’étranger, cela n’empêche pas les plus en vue des oligarques de, semble-t-il, soutenir la politique de Poutine, en tout cas, de protester de leur patriotisme… puisque ce sont les pauvres qu’on envoie mourir « pour la patrie » dans la boue des tranchées !

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