Dans le monde

Crise de l’eau : un bien commun privatisé

Du 22 au 23 mars, l’ONU a réuni 6 500 participants, dont de nombreux ministres et chefs d’État, lors d’une conférence mondiale de l’eau. Le secrétaire général Antonio Guterres a affirmé que la planète se trouvait devant une imminente crise de l’eau.

Entre 40 et 50 % de la population mondiale ne dispose d’aucun système d’assainissement de l’eau, un quart n’a pas d’accès à une eau potable sûre, la moitié souffre de pénurie durant une partie de l’année. En 2015 l’ONU avait voté une série de résolutions sur cette question : elle promettait, ou espérait, que l’humanité aurait en 2030 accès à l’eau potable, qu’on ne verrait plus ces centaines de millions de femmes passer leur vie à attendre devant un malheureux robinet et perdre leur santé à porter les lourds bidons familiaux ; que des enfants ne mourraient plus du choléra pour avoir bu de l’eau souillée. L’espoir était que les champs pourraient être irrigués et les populations nourries ; que les progrès techniques en matière d’assainissement et de distribution serviraient à tous. Mais la conférence de 2023 n’a constaté aucun progrès et a voté une nouvelle série de vœux pieux.

Le réchauffement climatique accélère encore la crise hydrique. L’eau des grands fleuves, comme le Nil, le Mékong, l’Euphrate ou le Niger, est âprement disputée par les États qu’ils traversent. Les grands propriétaires, capitalistes de l’agriculture, de l’industrie ou des loisirs, s’approprient les ressources communes. Cela va du ridicule au révoltant, des mégabassines du Poitou et des golfs arrosés en période de canicule jusqu’aux piscines des hauts de Port-au-Prince bien remplies pendant que le peuple des bidonvilles d’Haïti n’a rien à boire. Cette répartition est toujours fondée sur le droit du plus fort ou du plus riche.

Il ne manque pas d’eau sur la planète, ce qui manque de plus en plus c’est de l’eau non polluée, non accaparée par des groupes privés, et les équipements permettant de l’acheminer vers ceux qui en ont besoin. Car l’eau, tout indispensable qu’elle soit à la vie, est une marchandise. Elle est à vendre, elle a un prix grâce auquel certains capitalistes peuvent prospérer. Les États, prétendument au service de l’intérêt général, sont les porteurs d’eau des grands propriétaires. En France, une fois les services d’adduction et d’assainissement mis en place par les collectivités avec l’argent public, la distribution d’eau a été le plus souvent concédée à des groupes privés. Après que ces derniers ont accumulé des fortunes en économisant sur l’entretien des réseaux, les responsables publics, comme ceux de Bordeaux ou de Lyon par exemple, constatent qu’il y a 30 % ou plus de déperdition du fait des fuites et municipalisent de nouveau le service. La remise en état doit donc se faire avec les deniers publics, en attendant sans doute une nouvelle concession.

Ce petit jeu, privatisation des gains et socialisation des investissements, entamé en France sous Napoléon III a permis la constitution, de géants mondiaux de la distribution comme Veolia. Ce groupe a fait en 2022, année de canicule s’il en fut, un bénéfice record. Quand, par extraordinaire, un État comme l’Argentine nationalise sa compagnie des eaux en accusant en l’occurrence Suez, racheté depuis par Veolia, de rançonner la population, il se trouve un tribunal pour condamner ce pays à dédommager la multinationale française.

Lorsque l’eau est empoisonnée, dans les pays pauvres on meurt et dans les pays riches l’État fournit de l’eau en bouteilles ou bien la population en achète. Mais on trouve rarement des coupables. L’eau du robinet des départements bretons, par exemple, est pleine de nitrates venant des engrais. Lorsqu’il y en a trop, les mairies conseillent d’acheter des bouteilles d’eau et au-delà d’un certain seuil elles les fournissent. Le problème est connu depuis des dizaines d’années, mais jamais encore l’industrie agro- alimentaire ou Veolia et autres qui distribuent l’eau, n’ont été inquiétés. De l’autre côté de l’océan, les habitants de Flint, petite ville industrielle du Michigan, ont eux aussi été empoisonnés par l’eau du robinet car leur rivière servait d’égout aux industries locales. Il a fallu des années de combat pour que cela change et la question n’est pas encore réglée. Au même moment, non loin de là, la multinationale Nestlé puisait dans la nappe phréatique de quoi remplir des centaines de millions de bouteilles d’eau pure. Le Michigan ne lui demandait pour cela que 200 dollars par an !

Malgré ces vols manifestes, et bien d’autres encore, les multinationales de l’eau se targuent d’être des bienfaiteurs de l’humanité et des champions de l’écologie. Ainsi, à la conférence de l’ONU, la directrice générale de Veolia a promis de consacrer 1,5 milliard d’euros à l’assainissement et à l’adduction d’eau potable. Autant dire que Veolia fera payer chaque mètre de canalisation à prix d’or aux collectivités et chaque goutte au prix du champagne aux consommateurs.

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