CMA CGM : océan de profits et vague d’inflation08/03/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/03/2849.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

CMA CGM : océan de profits et vague d’inflation

Avec 23,44 milliards d’euros de bénéfice net pour 2022 la compagnie maritime CMA CGM enregistre le profit le plus élevé jamais réalisé par une entreprise française, dépassant Total, Stellantis, la BNP et LVMH. Rapporté aux 75 milliards de chiffre d’affaires, ce bénéfice montre également une rentabilité exceptionnelle.

Rodolphe Saadé, dirigeant et propriétaire avec sa famille de 75 % de la compagnie, explique modestement que cette brusque fortune découle de la hausse des tarifs de fret consécutive à l’épidémie de Covid. De 1 500 euros, le prix du transport d’un conteneur de Shangaï au Havre est passé, au plus fort de la crise, à 15 000 euros. Les plus gros porte-conteneurs de la CMA CGM peuvent en emporter 23 000 à chaque rotation de deux mois Asie-Europe-Asie ou Asie-Amérique-Asie. Toutefois l’armateur ne dit pas qu’il exerce un monopole sur cette activité avec Maersk et MSC, les deux rivaux et complices de taille comparable. Ils ont profité des prix parce qu’ils les ont fait monter volontairement, entraînant ainsi la première vague inflationniste qui touche désormais le monde entier. Cette période, qualifiée de « parenthèse enchantée du transport maritime » par le journal Les Echos, se paye aujourd’hui cash par 20 ou 25 % de hausse des prix alimentaires dans les pays industrialisés, bien plus encore dans les pays pauvres.

Le capital facilement et rapidement accumulé a, comme le dit toujours modestement Saadé, été réinvesti. La CMA CGM compte désormais 593 navires, 750 entrepôts dans 420 ports et 150 000 salariés. Elle a acheté 9 % d’Air France et huit avions cargo, devenant le premier affréteur aérien en Europe. Elle a repris les logisticiens Gefco et Colis privé, acquis des terminaux portuaires à New York, Los Angeles et en Asie, une compagnie de ferries en Méditerranée. Et, bien sûr, comme tout grand patron qui se respecte, Saadé s’est payé un quotidien, La Provence, est entré dans le capital d’un média, M6, et sponsorise un club de foot, l’OM en l’occurrence. Ce réinvestissement consiste donc en rachats de sociétés existantes et aboutit à une monstrueuse concentration de capitaux et de puissance.

La famille Saadé, dont la fortune, désormais évaluée à 40 milliards d’euros, a été multipliée par six en trois ans, est devenue l’une des plus riches et des plus influentes du pays, au côté des Arnault, Bettencourt et autres Peugeot. Cela n’a pu se faire qu’avec le soutien constant d’un État qui, dès le début, a veillé sur le groupe, l’a financé quand il le fallait et lui a offert des lois sur mesure. Ainsi, seuls 28 navires de la CMA CGM sont sous pavillon français et, surtout, la compagnie est imposée sur la jauge de ses bâtiments et pas sur son chiffre d’affaires. Cela revient à imposer une usine sur sa surface et pas sur sa production. D’autre part, les ports équipés à la dimension des porte-conteneurs, sans lesquels ils ne pourraient ni aborder ni décharger, sont évidemment payés par les États et les collectivités locales, partout dans le monde. Enfin, la fortune de la compagnie, fondée sur le trafic entre les usines chinoises et les marchés occidentaux, repose en fait sur les capacités de l’État chinois à organiser et à museler la classe ouvrière et sur l’exploitation de cette dernière.

Les plus gros porte-conteneurs, détenus par les compagnies géantes, représentent désormais un tiers des capacités totales de transport, contre 13 % en 2019. Le garrot posé par CMA CGM et ses deux alliées sur le commerce mondial peut dès lors se resserrer, entraînant une inflation généralisée et donc un vol généralisé des populations.

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