retraites

Les directions syndicales et la mobilisation

L’annonce, le 10 janvier, par le gouvernement de son plan de démolition des retraites par le recul à 64 ans de l’âge de départ et l’augmentation accélérée de la durée de cotisations à 43 ans, a été reçue par le monde du travail comme une déclaration de guerre.

Bon nombre de travailleurs ont réagi en disant : « Décidément, ils veulent nous écraser. » Les piètres arguments du gouvernement ont bien peu convaincu, pas plus que le prétendu déficit à venir des caisses de retraite, ridicule comparé aux centaines de milliards d’argent public versés dans les caisses du patronat et qui ressurgissent sous forme de dividendes record.

D’octobre à janvier, le gouvernement a fait mine de consulter les organisations syndicales en lançant des « cycles de concertation ». Celles-ci, tout en se disant opposées à tout recul de l’âge de la retraite, se sont prêtées à ce jeu des pseudo-négociations, plutôt que de préparer la riposte. Le 10 janvier, sans surprise, le gouvernement a donc annoncé son plan dans toute sa brutalité, montrant le peu de cas qu’il faisait des directions syndicales. Afficher une détermination sans faille était censé décourager par avance une opposition dans la rue et par la grève. Mais, à l’­inverse, il est parvenu à susciter une réaction d’ampleur du monde du travail. Les syndicats, unis par le mépris affiché du gouvernement, ne pouvaient faire moins que de réagir à un plan rejeté par leur base. L’intersyndicale regroupant huit confédérations, même des plus timorées comme la CFDT ou la CGC, a donc appelé à la journée de grève et de manifestations le 19 janvier.

Or, celle-ci a été un succès, rassemblant 1,12 million de travailleurs selon la police et deux millions selon la CGT. C’est deux fois plus que le 24 novembre 1995, première journée de la mobilisation contre le plan Juppé qui avait rassemblé d’après la police 490 000 manifestants dans toute la France.

Outre l’affluence, la participation de travailleurs du privé a été remarquée dans les cortèges très nombreux, y compris dans des petites villes. Dans un contexte marqué par la hausse des prix, le fait que des travailleurs d’une entreprise ou d’une zone industrielle se réunissent, échangent, fassent grève et manifestent ensemble représente un danger pour le grand patronat, car il porte aussi en germe la possibilité de grèves pour les salaires frappant les capitalistes au porte-monnaie.

Le gouvernement, qui voulait montrer sa capacité à faire passer sa réforme en force en se passant de tout accord syndical, se retrouve ainsi face à des confédérations renforcées. Ayant démontré leur influence, elles s’emploient aussi à montrer leur responsabilité et leur capacité à contrôler la mobilisation, à travers l’appel du 31 janvier et sans doute des appels ultérieurs.

Pour l’heure, les direc­tions syndicales maintien­nent leur unité et font pression sur le gouvernement. Mais jusqu’à quand ? Nombre de travailleurs ont vu dans le passé des syndicats appeler ou rallier un mouvement pour mieux le lâcher du jour au lendemain, sous prétexte de concessions, au mépris de l’opinion des grévistes. Il est donc vital que les travailleurs en lutte se donnent les moyens de diriger eux-mêmes leur mouvement et d’assurer son unité au travers d’assemblées générales et de ­comités de grève.

La crainte du gouvernement et de la bourgeoisie est que l’avidité de celle-ci finisse par déclencher un mouvement incontrôlable, même par les directions syndicales. Il y a trois mois, Édouard Philippe, ancien Premier ministre, prévenait avec regret : « On peut savoir si le vase est bientôt rempli. Mais on ne sait jamais laquelle des gouttes est la dernière. » Eh bien, pour beaucoup de travailleurs, le vase commence à déborder…

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