il y a 100 ans

Novembre 1922 : le Quatrième Congrès de l’Internationale communiste

« Le Quatrième Congrès mondial rappelle aux travailleurs de tous les pays que la révolution prolétarienne ne pourra jamais vaincre à l’intérieur d’un seul pays, mais dans le cadre international, en tant que révolution prolétarienne mondiale », proclamait une résolution du Quatrième Congrès de l’Internationale communiste, tenu à Moscou du 5 novembre au 5 décembre 1922.

De 1891 à 1914, les partis socialistes, présents dans de nombreux pays et regroupés au sein de la Deuxième Internationale, avaient diffusé les idées communistes au sein de la classe ouvrière.

Mais, au fil du temps, ils s’étaient intégrés à la société capitaliste. La Première Guerre mondiale signa leur faillite complète : sauf en Russie, en Serbie et aussi en Italie, les partis socialistes soutinrent la guerre de la bourgeoisie et contribuèrent à envoyer des millions de prolétaires se faire tuer dans les tranchées. Et quand la guerre provoqua des révolutions, les dirigeants socialistes firent tout pour les arrêter, allant même, comme en Allemagne, jusqu’à diriger depuis le gouvernement la répression contre les révolutionnaires.

Dès 1914 et la trahison de la Deuxième Internationale, Lénine et les bolcheviks avaient appelé à la constitution d’une nouvelle internationale. Parvenus au pouvoir en octobre 1917, ils affirmèrent que la révolution en Russie était le début de la révolution mondiale et ne pourrait même subsister sans le renfort des travailleurs des autres pays. Sur cette base, ils appelèrent à constituer avec eux un parti mondial de la révolution prolétarienne. Ses débuts furent bien modestes : le Congrès de fondation ne réunit, en mars 1919, que 51 délégués, ne représentant, pour la plupart, que de petites organisations. Mais l’État ouvrier et la révolution russes vivaient et la vague révolutionnaire touchait un pays après l’autre.

Trois ans plus tard, le Quatrième Congrès rassemblait 408 délégués venus de 61 pays. De nombreux partis communistes s’étaient constitués et certains regroupaient des centaines de milliers de militants.

Les militants qui dirigeaient et inspiraient l’Internationale communiste, notamment Lénine et Trotsky, avaient non seulement cherché à construire des partis nombreux et implantés dans la classe ouvrière, mais surtout à en faire des partis réellement révolutionnaires, ayant rompu avec les traditions réformistes qui dominaient depuis deux décennies le mouvement ouvrier. Ce n’était pas chose facile tant celles-ci avaient pris racine. Par exemple, l’Internationale communiste appelait les peuples coloniaux à la rejoindre dans son combat contre l’impérialisme et insistait pour que les partis communistes des pays impérialistes combattent le colonialisme de leur bourgeoisie et s’implantent parmi les travailleurs des colonies.

Trotsky dut cependant dénoncer lors du Quatrième Congrès la « mentalité de possesseurs d’esclaves » des militants du parti français en Algérie. Ces derniers avaient refusé l’appel à la libération de ce pays lancé par l’Internationale l’année précédente et refusaient l’adhésion des militants « indigènes ».

Mais les dirigeants de l’Internationale pouvaient s’appuyer sur l’enthousiasme de centaines de milliers de jeunes venus après les tranchées et les grèves révolutionnaires de l’après-guerre pour tenter de transformer ces nouveaux partis en partis authentiquement révolutionnaires. Depuis les débuts de l’Internationale, ils avaient cherché à les armer sur le plan politique, tant en définissant une tactique permettant à tel ou tel parti communiste de répondre à la situation de son pays, qu’en s’intéressant aux problèmes des partis frères, y compris ceux du parti russe, qu’en abordant les problèmes généraux affectant l’ensemble du mouvement.

C’était d’autant plus difficile que, depuis la fin des années 1920, la vague révolutionnaire refluait et faisait place à une période de stabilisation relative de l’économie capitaliste redonnant des couleurs aux partis réformistes et, dans certains pays, à une réaction déchaînée. Le Quatrième Congrès se tenait d’ailleurs moins d’un mois après l’arrivée au pouvoir de Mussolini et du parti fasciste en Italie. La possibilité que le prolétariat prenne à court terme le pouvoir hors de Russie s’éloignait.

Cela impliquait un changement de cours politique de l’ensemble des sections de l’Internationale. Lénine et Trotsky, à partir du Troisième Congrès et encore plus lors du quatrième, bataillèrent pour convaincre leurs camarades de la nécessité de proposer à l’ensemble du prolétariat, organisations réformistes et syndicales comprises, une tactique de défense commune, dite tactique du front unique. Pour la direction de l’Internationale, l’heure était à la « conquête des masses », avant un nouvel assaut révolutionnaire, qui résulterait inévitablement d’une nouvelle convulsion du capitalisme.

La fin de la vague révolutionnaire eut aussi des effets catastrophiques sur l’État ouvrier, le parti russe et l’Internationale elle-même, entraînant l’apparition d’une bureaucratie privilégiée en URSS, dans l’État et le parti, puis son affirmation derrière Staline.

Lénine mort en 1924, Trotsky écarté, puis exilé, l’Internationale communiste cessa d’être un facteur révolutionnaire et devint de plus en plus un instrument au service des intérêts de la bureaucratie. Elle se transforma rapidement en outil de la diplomatie soviétique. Elle mena la révolution à la défaite en 1927 en Chine, laissa Hitler parvenir au pouvoir en 1933 en Allemagne, avant d’être utilisée pour étrangler la révolution espagnole entre 1936 et 1939.

Il n’empêche que son programme fondateur, la révolution socialiste mondiale, est plus que jamais d’actualité. Aujourd’hui, ceux qui partagent cet objectif doivent s’inspirer de la riche expérience des premières années de l’Internationale communiste, contenue dans ses manifestes, proclamations et débats. Lors de ce Quatrième Congrès, Lénine appelait les militants étrangers à ne pas plaquer sur des situations différentes les solutions trouvées en d’autres circonstances par les bolcheviks russes, et à étudier davantage leur expérience : « Il doivent […] étudier […] pour comprendre réellement l’organisation, la structure, la méthode et le contenu de l’action révolutionnaire. Si cela se fait, je suis persuadé que les perspectives de la révolution mondiale seront non seulement bonnes, mais excellentes. »

Partager