Russie : les mères de soldats et l’esbroufe de Poutine30/11/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/11/2835.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : les mères de soldats et l’esbroufe de Poutine

Avec l’envoi en Ukraine de plusieurs centaines de milliers de mobilisés depuis septembre, l’attitude de la population face à la guerre de Poutine a quelque peu changé en Russie. Et ce n’est pas dans le sens patriotique qu’espéraient Poutine et les dirigeants russes.

Dans les entreprises, il n’y a plus grand monde qui n’ait un parent, un ami, un voisin mobilisé, qui n’en parle, qui ne fasse part de son inquiétude pour lui ou qui n’entende des camarades de travail parler de blessés, de morts au front.

Même parmi ceux qui paraissaient jusqu’alors indifférents, et en tout cas ne s’exprimaient ni pour ni contre la guerre, les discussions s’engagent plus volontiers sur le fait que les choses vont mal, que les mobilisés sont maltraités, pas entraînés, peu ou pas équipés, voire sur le fait que c’est une guerre sans issue et dont la population, russe comme ukrainienne, n’a rien de bon à attendre.

Et puis, il y a les réseaux sociaux, les vidéos qui tournent en boucle depuis des semaines. On y voit des soldats qui décrivent la situation au front, « les tonnes de cadavres », le manque de ravitaillement, les armes non fournies, les unités décimées à peine envoyées au combat, « la menace d’être fusillé par ses frères quand on ne veut pas monter au front ». Pourtant, certains disent refuser d’aller au combat dans ces conditions. Combien sont-ils, impossible de le savoir. Mais ce qu’on voit, c’est que les peines pour refus de combat ont été alourdies et que les autorités ont tenu à ce que cela se sache.

Sur beaucoup de vidéos on entend aussi des femmes, dont certaines invectivent les autorités qui les laissent sans nouvelles d’un fils, d’un père, d’un mari mobilisé. D’autres racontent comment elles ont fait des centaines de kilomètres pour aller récupérer leur fils sur la ligne de front, car Poutine avait promis qu’aucun mobilisé n’y serait envoyé, que tous les combattants seraient bien formés et équipés…

Jusqu’à récemment, ces femmes se battaient seules ou avec quelques amies et voisines. Mais, renouant avec ce qu’avaient fait leurs aînées durant les deux guerres de Tchétchénie ou lors de la tragédie du sous-marin Koursk au tout début de l’ère Poutine, où tout l’équipage avait péri noyé sans que celui-ci fasse mine de s’en émouvoir, certaines ont décidé de se réunir dans des comités de mères et épouses de soldats. Un conseil s’est même constitué pour porter collectivement et plus fort leur désespoir et leur protestation.

Si elles ne se disent pas toutes contre la guerre, ces femmes en dénoncent les effets. Leurs témoignages soulignent les mensonges du pouvoir, ne serait-ce qu’en accumulant les exemples de soldats inaptes, ou pères de famille nombreuse, ou trop âgés, envoyés au front malgré ce qu’avait promis le Kremlin. Et cela a de quoi inquiéter le pouvoir, car il est le mieux placé pour mesurer l’ampleur de ce qui est une contestation de fait de sa politique.

Le 25 novembre, jour de la Fête des mères en Russie, Poutine a donc voulu organiser un contre-feu en réunissant 17 mères et épouses de soldats dans sa résidence de Novo-Ougarëvo, dans l’ouest de Moscou où vivent les dirigeants du régime.

S’affichant avec elles sur toutes les chaînes de télévision du pays, il a dit partager, comme tous les autres dirigeants du pays, leur douleur, leurs angoisses. Il s’est voulu aussi rassurant, affirmant avoir conversé au téléphone avec des soldats au front qui, à l’en croire, l’auraient « surpris car étant dans un bon état d’esprit ». C’est effectivement… surprenant !

La porte-parole du Conseil des mères et épouses de soldats, évidemment pas invitée par Poutine, lui a répliqué sur les réseaux sociaux : « Arrêtez de nous réduire au silence avec vos prétendues réunions qui ne servent qu’à jeter de la poudre aux yeux. » Mais, si cette dernière fait bon ménage avec la poudre à canon, il n’est pas certain qu’elle fasse cesser cette contestation, ni l’écho qu’elle peut trouver dans la population.

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